Un retour critique et lucide sur les 30 dernières années

La bande dessinée mène à tout, elle peut tout, ou presque. Depuis quelques années, les BD pédagogiques ou informatives se sont multipliées. La folle histoire de la mondialisation nous dévoile les arcanes du commerce international.


La mondialisation est au cœur de notre vie. Nous déplorons la perte de nos emplois industriels et le dumping social des pays pauvres, mais nous nous réjouissons de la hausse continue de notre pouvoir d’achat et de la forte baisse de la pauvreté dans le monde, sans toujours saisir les liens entre les deux phénomènes.


Enzo est dessinateur et journaliste à Alternatives Économiques. Isabelle Bensidoun et Sébastien Jean sont chercheurs en économie internationale. Ensemble, ils nous proposent un fort plaisant manuel de macro-économie de premier cycle de sciences économiques. Tout y est, les définitions et les cartes, les chiffres et les schémas, les théories et les exemples, sans oublier les références obligatoires aux grands anciens, en s’arrêtant sur les deux pères du libéralisme : David Ricardo et sa théorie de l'Avantage comparatif, Milton Friedman et son École de Chicago. Seule concession au divertissement, nos auteurs se mettent en scène, introduisant le débat et tentant de le conclure.


Le trait d’Enzo est simple et plaisant. Il alterne dessins réalistes, plans, portraits, en y insérant quelques éléments fantastiques signifiants, l’Araignée, le Requin, les tribulations d’un conteneur ou un combat de boxe « P. Lamy vs J. Stiglitz ».


Les auteurs décrivent parfaitement les deux mondialisations. La première, celle du XIXe siècle, s’est achevée en 1914. La seconde a débuté lors des années 1950. Nos économies sont de plus en plus mondialisées et la France est à la tête du mouvement. La moitié des biens que nous consommons est importée. Les machines et les équipements électriques et électroniques le sont à 90 % et même les denrées agricoles, nous sommes désormais un pays agricole et touristique, le sont à 38 %. Nos grandes entreprises fabriquent plus à l’étranger qu’en France. Nous ne produisons plus grand-chose et nos rares produits industriels cachent de très nombreux composants étrangers.


Depuis l’échec du plan de relance socialiste de 1981, à chaque fois que des économistes et des politiques français ont été en situation d’influer sur le mouvement, que ce soit à la tête du FMI, de la banque mondiale ou de l’Union Européenne, qu’ils soient de droite ou de gauche, ils ont tous poussé à l’abaissement des barrières douanières et à la signature de traité de libre-échange. Loin d’être contraints par l’Europe, ils en ont été le moteur. Dans un rare festival de duplicité électorale, ils n’ont cessé de déplorer, en public et à la veille des élections, le revers de la médaille : la hausse continue du chômage et des inégalités. Se sachant personnellement protégés, sont-ils réellement hypocrites ? Pensent-ils sincèrement que nous n’avons pas le choix et que le maintien de la paix est à ce prix ? Estiment-ils que le ruissellement et la redistribution compenseront les effets négatifs ? À vous de vous faire vos propres opinions…


Isabelle Bensidoun et Sébastien Jean se gardent bien de prévoir l’avenir, ni même de proposer des solutions. Avouons qu’ils sont honnêtes, l’économie est tout sauf une science expérimentale, elle parvient à expliquer le passé, mais échoue à toute modélisation de l’avenir. Les facteurs influant la création et la répartition des richesses sont trop nombreux. Ils ne croient manifestement pas à la possibilité de créer de l’emploi en relocalisant en France la production des biens. Ils estiment que le bilan mondial de la mondialisation est globalement positif, qu’une meilleure coordination des États peut lutter contre l’évasion fiscale et mieux protéger les travailleurs et que la contrainte écologique réglera, à terme, le problème.


Nous sommes en présence d’un manuel d’économie, pas d’un ouvrage polémique, ni même politique. Je ne doute pas que l’approche des échéances électorales suscitent d’innombrables écrits appelant à la fermeture des frontières, à la relocalisation et à la sobriété heureuse. Vous voilà prévenus.


P.S. : Le cadre de la discussion est le bar Les Chaises (75020), que je vous recommande.

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le 17 mai 2021

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Step de Boisse

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