Je n'ai pas lu beaucoup de BD du monde de Thorgal, mais les quelques unes que j'ai lues étaient bien plus dans le ton de la série principale. Ici, il y a clairement plus de liberté donnée aux deux auteurs. Le résultat est assez étrange, pas déplaisant, mais un peu embêtant quand même, peut-être parce que ce ton-ci reste proche de la BD principale, comme si les auteurs avaient voulu se démarquer mais n'avaient pas trop osé (ou bien les éditeurs ont été frileux).
En tous cas, la première chose étonnante, c'est le côté gore bien gratuit : des corps arrachés, des têtes coupées, avec vraiment le bon gros plan pour qu'on voit bien. Ces cases auraient pu être retirées facilement, comme d'autres d'ailleurs : ces nombreux plans de réaction ou sur des oiseaux. On sent que les auteurs ont voulu faire un truc plus auteur, un truc plus sur la contemplation et les émotions, car il est vrai que Thorgal est un peu comme une machine, il avance toujours et là, et c'est assez rare dans la série, on le voit avoir peur (et non pas juste dire 'j'ai peur'). C'est pas une mauvaise idée en soi, mais ce n'est pas assez poussé, surtout que les autres personnages sont beaucoup plus fonctionnels comme dans la série, du coup ça fait bizarre de ne s'attarder que sur les réactions émotionnelles de Thorgal. Le découpage n'est pas toujours efficace (le saut dans l'eau, mauvais choix de plan) ni parfaitement lisible (certains affrontements sont peu compréhensibles, on comprend ce qu'il s'y passe mais il faut bien analyser le dessin et ne pas trop chercher à comprendre ce que le mouvement donnerait en animation). L'on trouve également des cases énormes parfois sur des doubles pages, ce qui n'était pas vraiment nécessaire même si le cadrage en soi est intéressant ; et puis cette énorme case avec la 'mère' viking en gros plan, pourquoi faire un si gros plan dans une si grande case, je suppose que les auteurs n'ont pas lu "L'art invisible" qui explique très bien pourquoi il vaut mieux éviter cela.
Le trait évolue. Les premières planches rappellent le style Rosinski que presque tout le monde préfère, un trait fin, avec des hachures, après quelques pages, le trait est plus appuyé, avec des pleins et des déliés plus marqués, un style plus contemporain en somme, avec ses réussites et ses maladresses. C'est surtout bizarre de voir cette évolution et aussi de voir Thorgal dessiné de la sorte. Les décors sont sympas, les personnages aussi. Les couleurs à l'ordi ne sont pas vilains, le coloriste parvient à créer des effets proches de l'aquarelle, mais par moment, ça fait trop 'colorié à l'ordi', comme le maquillage des personnages ou encore certaines ambiances colorées assez bizarres. Le plus paradoxal, c'est que malgré ces filtres colorés pour créer des ambiances, la mise en couleurs est assez académique, manque d'audace, d'une vraie ambiance colorée avec de beaux contrastes. Mais bon, ça reste très potable, d'un bon niveau.
Le récit est bizarre. On sent le cahier de charge : on évoque les personnages à maintes reprises, on voit même Muff et c'est bon de le revoir, Jolan à l'époque où il découvre ses pouvoirs, Aaricia enceinte... mais à quoi bon ? tous ces éléments ne sont pas exploités, ce récit aurait pu se passer n'importe quand et n'importe tant au final seul Thorgal est exploité. Ensuite, la quête fait bien penser à un truc que VanHamme aurait pu pondre, juste que dans le développement ça le fait moins. Et même si Thorgal tue le moins possible, l'album est tellement gore de façon gratuite, qu'on a l'impression que c'est bien Thorgal qui est violent.
J'espère que dans cet univers fait d'incursion dans les ellipses, quelqu'un s'attaquera à Shaïgan-sans-merci, pour un récit audacieux où ce Thorgal méchant serait vraiment le héros, sans chercher à l'excuser de ses massacres ou quoi que ce soit.
Bref, pas génial, un peu étrange à lire, comme s'il s'agissait d'un Thorgal d'un monde parallèle. Mais ça se lit quand même.