Incontournable BD septembre 2025


Je remercie la maison La Pastèque pour l'envoi de ce service de presse.


Je réalise que j'aime beaucoup les BD endossées par la maison La Pastèque, car après les aventures absurdes et burlesque de la Reine Babette, celles colorées et sociales de la bande du Mile-End et le célèbre Facteur de l'espace, voici une BD en tome unique d'une grande sensibilité sur un sujet délicat, mais toujours d'actualité.



Notre jeune narratrice, Tania, a huit ans. Pourtant, elle n'espère pas d'anniversaire cette année, car comme elle le dit si bien, "on vit au rythme des humeurs de papa". Un papa qui a accroché un carillon à la porte d'entrée, pour pouvoir entendre les va-et-vient dans la maison. Un papa qui note toutes ses dépenses dans un cahier noir. Un papa dont notre narratrice sait décoder les "signes", en particulier ces choses qui le rend irritable ou qui risque de causer une chicane. Une nuit, cependant, ce n'est pas un de ses parents qui entre dans sa chambre, mais sa tante. Il faut partir, et vite. Son petit frère Laurent est déjà dans l'auto avec leur oncle, il ne manque plus qu'elle et sa valise, montée sans perdre de temps. Puis, sous le couver de la nuit, ils font route. Contrairement à ce que pensait Tania, ils ne vont pas chez son oncle et sa tante, mais selon leurs termes: "Une maison-Cachette". Un endroit à l’abri des chicanes où les attends leur maman. Une maison où ils seront en sécurité.



Il existe des lieux de refuge pour les femmes et leurs enfants victimes de violence domestique, des lieux cachés, anonymes et connus des seuls intervenants et des autorités compétentes. Actuellement, ces refuges débordent, au Québec, tant la demande est grande. Ces endroits sont le plus souvent des maisons ordinaires de l'extérieur, où on y trouvent de petites communautés de femmes et les intervenantes sociales qui en prennent soin et les accompagnent dans leur relocalisation. Ce sont essentiellement des lieux de passage temporaires, où les victimes peuvent souffler et reprendre confiance et espoir, avant de trouver un nouveau logement ou une nouvelle maison. Ce sont des lieux où elles sont à l'abri, surtout, puisque personne ne sait où elles se trouvent. Comme la violence ne fait pas de distinction d'âge, les enfants sont donc également impactés. Victimes exposées à la violence et/ou eux même violentés, ces enfants connaissent donc la même relocalisation, souvent avec leur mère. C'est de ce passage dont il est question dans la BD.


Dans la situation initiale, on lit entre les lignes que notre narratrice est lucide. Elle connait la situation, les signaux à surveiller pour essayer d'éviter les sautes d'humeur de son père et même, tristement, des espoirs à ne pas trop nourrir, comme de souhaiter une fête pour souligner son 8e anniversaire. Elle vit dans un monde "inconstant", donc imprévisible. Il y a tant de maturité chez cette jeune fille que s'en est désarmant. Quand on la voit, même au refuge, s'empêcher de dormir, pour "monter la garde" auprès de sa mère et de son frère, on comprend qu'elle s'est donné le rôle de la "gardienne". C'est une enfant qui fait preuve d'un pragmatisme et d'un sens de l'observation désarmant, qui trahissent un besoin de ne pas trop espérer pour espérer minimiser les élans de colère du père. Cette jeune fille se comporte beaucoup trop en "adulte" et c'est l'un des impacts dramatiques sur les enfants vivant des actes de violence: Le risque d'escamoter leurs stades de développement pour devenir adulte trop vite. Et c'est sans compter la compromission de leur estime de soi, de leurs besoins et de leurs rêves.


On verra également que la petite famille est évacuée en deux groupes, la maman durant le jour de son côté, les deux enfants de nuit à leur domicile. Tout cela a des airs de mission clandestine. Cela trahit le besoin de faire tout ça discrètement, pour ne pas éveiller les soupçons du parent violent et qu'il faut parfois ( pas pas systématiquement) le concours d'un ou de plusieurs alliés. Le parrain et la marraine des enfants joueront ce rôle.


La maison-cachette est un lieu discret, une maison comme les autres, avec ses chambres et ses règles, comme dans un foyer normal. La famille de Tania y loge seule pour le moment. Dans cette maison, ils occupent une chambre ensemble, un espace juste pour eux. Tania aura l'occasion, dans cette maison d'enfin pour exprimer ses émotions, se préoccuper de grandir comme une enfant normale et même, fêter son anniversaire.


L'arrivé dans la maison cachette coïncide avec deux changements visuels: Le changement de palette chromatique et l'intervention d'un degré de magie. Dans le premier cas, on passe d'une palette de bleus-gris froids à une palette de roses corail chaleureux. Ce changement du froid vers le chaud marque le passage d'un lieu où règne la peur et le contrôle à un environnement chaleureux, serein et surtout, sécuritaire. Le second élément intervient avec les peluches qu'on voit sur la couverture, un panda rose, un chat aux longues pattes et un renard. Ces trois personnages s'animent comme s'ils étaient devenus les ami.e.s de Tania. Ce n'est pas anodin comme choix, je crois. Leur présence permet de décoder que Tania redevient une enfant, qui exprime sa créativité par son imaginaire et meuble son espace mental avec des figures chaleureuses rassurantes. D'ailleurs, avec ses "amis" elle pars investiguer le bâtiment, fait du bricolage et s'amuse, comme une enfant rassurée et capable de s'amuser.


J'ai remarqué la banalisation des pleurs, ce qui est à mon sens normal dans ce genre de maison. Pleurer est normal, c'est même un excellent exutoire émotionnel. On verra les personnages pleurer de soulagement, de tristesse, de dépit, mais également de joie. Pleurer n'est pas la seule façon d'exprimer la tristesse et ne lui est pas exclusive. J'aimerais bien que les œuvres jeunesse l'exprime davantage. Les émotions sont nombreuses et complexes, elles revêtent différentes formes en fonction du tempérament de la personne et du contexte culturel également. Certaines émotions ont même été genrées, ce qui est une énorme erreur. Il n'y a pas de genre aux émotions. Bref, j'aime qu'on statut dans la maison-cachette que "parfois, on pleure, c'est comme ça". On a même pas besoin de savoir d'où elles viennent ces larmes, parfois elles ont juste besoin de couler.


J'ai donc un gros coup de cœur pour cette BD sensible et juste, avec un graphisme sobre et agréable, qui met en relief une réalité plus fréquente qu'on le croit et qui malheureusement, est en augmentation dans la Province. Aucune famille ne mérite de vivre ce genre de situation. Personne ne mérite de vivre de la violence et l'émotion amoureuse n'implique jamais d'être violent ( contrairement aux romances qui prétendent le contraire ces temps-ci). Cela concerne les femmes autant que les hommes, la violence domestique ne connait pas de genre spécifique, même si les statistiques sont dramatiquement élevés du côté des femmes battues. Je suis heureuse de constater que la littérature jeunesse ose les sujets sensibles, afin de faire prendre conscience de l'existence de cet enjeu. Quand vient le temps de parler des violences sous toutes leurs formes, nous sommes tous concernés. Ce genre de livre permet de prendre acte de l'enjeu, mais aussi de développer l'empathie nécessaire pour ne pas les juger et en être les alliés.



Une belle Bd qui serait intéressant dans le cours CCQ ( Culture et citoyenneté Québécoise) du niveau primaire, qui peut mener à d'intéressantes réflexions sur la prévention et la conscientisation des violences domestiques.


Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+

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il y a 4 jours

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Shaynning

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