L’Égypte selon De Gieter : l’ébauche d’une légende encore sur des sables mouvants

L’Égypte toute entière est en deuil. Théti-Chéri, princesse héritière du trône, est morte, emportée par un mal mystérieux, embaumée à la hâte, son sarcophage a disparu, même Pharaon, désespéré, n'a pu la voir... Les dieux semblent se détourner de lui... Et pourtant...


Aux origines du mythe



Au début des années 70, l’Égypte antique est curieusement absente du paysage de la bande dessinée franco-belge, ne faisant pas vraiment rêver les éditeurs de BD jeunesse. Ni chez le journal de Spirou, ni chez le journal de Tintin, le sujet n’a pas droit à une série entièrement dédiée, malgré quelques incursions ponctuelles comme dans certaines aventures d’Alix, qui explorent les vestiges à l’époque romaine, ou alors il faut remonter jusqu'aux années 50 avec Blake et Mortimer, et bien avant encore avec Tintin. Ce vide, Lucien De Gieter le remarque, et y voit une occasion. Et il décide d’en faire une force. Auteur déjà actif dans les pages du journal Spirou, il rêve d’un personnage capable de faire vibrer les lecteurs à travers les mythes et les mystères de l’Égypte antique. Il imagine alors Papyrus, un jeune garçon du peuple, fils de pêcheur, vivant sous le règne du pharaon Mérenptah, au temps de la XIXe dynastie (vers -1213 à -1203). Un héros proche des dieux, mais ancré dans le monde des hommes, prêt à se jeter corps et âme dans de grandes aventures. De Gieter propose cette nouvelle série à la rédaction de Spirou, qui saisit immédiatement le potentiel d’un univers aussi dépaysant. Pour tester l’intérêt du public, le jeune Égyptien fait ses débuts dans un court récit publié en 1974, et intitulé La Momie engloutie. Une introduction qui pose les bases d’un univers foisonnant et introduit une figure essentielle avec la princesse Théti-Chéri, fille du pharaon, dont la relation avec Papyrus deviendra l’un des fils conducteurs de la série. L’accueil est enthousiaste. C’est le début d’une longue aventure éditoriale. Et Papyrus, d’abord simple héros d’un récit test, ne quittera plus jamais les pages du journal Spirou.



Une première histoire qui attrape le lecteur par le col et le jette tête la première dans un tourbillon de péripéties. Un récit d’aventure fantastique pur jus, dont on aborde la thématique antique via la mythologie égyptienne, porté par une énergie de feu et une narration qui galope à perdre haleine. Un récit extrêmement frénétique alternant continuellement des péripéties, à peine l'une se termine, que la case suivante il y a en a une autre, puis une autre, et encore une autre. Papyrus pique un somme sur sa barque, un crocodile surgit sans prévenir, la barque dévale le courant, une chute d’eau l’engloutit, il se réveille en pleine confrontation avec une tribu de pygmées, enchaîne avec une momie sortie de nulle part, manque de se noyer dans un puits inondé, affronte le dragon du Nil, se fait courser en pirogue, frôle la suffocation dans un nuage empoisonné, croise une divinité qu'il affronte, puis combat un scarabée géant qu’on croirait échappé d’un cauchemar lovecraftien... Au milieu de tout cela, un scénario prend plus ou moins forme, avec l'apparition de la princesse Théti-Chéri, qui devient la protéger de Papyrus. Et tout ça, en seulement 25 pages sur 46. C’est un déferlement d’actions qui ne s’arrête jamais. Tout s’enchaîne sans pause. On sent que De Gieter voulait frapper fort dès le départ pour accrocher le lecteur. Cette première moitié étant le court récit qu’il avait proposé au départ. Mais ce n’était pas assez long pour en faire un album à part entière. Alors un second récit fut ajouté, s’appelant initialement Le Voyageur du fantastique avant d'être fondu dans l’ensemble pour devenir La Momie de l’engloutie. La couture entre les deux récits est visible, et donne l’impression qu’il manque un morceau. Le rythme se fracture, et l’histoire semble perdre pied, s'éloignant du fantastique pour quelque chose de plus "terre à terre". Si bien, qu'on met du temps à comprendre où ça veut aller. Avant de finalement retomber sur ses pattes dans une conclusion un peu trop rapide et simpliste.



Pour ce premier tome, Papyrus n’a rien du héros frondeur ou contestataire. C’est un gamin du fleuve propulsé dans une aventure qui le dépasse, mais qu’il accepte sans poser de questions. Il avance droit, sans se débattre. Pas de doute, les dieux l’ont désigné, et lui, docile, suit leur voie sans faillir. Il est un protagoniste modèle, façonné dans le moule des héros naïfs des premiers récits, platonique dans sa loyauté et son refus de se rebeller. À ses côtés, Théti-Chéri, princesse fictive greffée sur l’arbre généalogique de Mérenptah, pharaon bien réel, vient compléter le tableau et se pose dès lors comme sa future promise. Sur le plan visuel, c'est très loin d'être à la hauteur de l’ambition narrative. Papyrus change de tête comme de tunique. Une case ses traits sont fins, la case d'après brouillons ; une fois la coupe au carré, plus loin des mèches ondulées sorties de nulle part. Son visage glisse entre les doigts du dessinateur, qui est encore en plein tâtonnement graphique, et ça se voit. Les personnages sont globalement malmenés par les traits. Ça tremble, ça déborde, ça hésite. Le dessin manque d’assurance. Mais heureusement, il y a le décor. Les temples, les rives du Nil… ça respire l’Égypte rêvée (toutes proportions gardées). C’est dans ces arrière-plans que De Gieter semble le plus à l’aise, et déjà on devine ce que la série va devenir, quand le trait cessera de chercher et commencera à construire. Mais peu importe. Car il faut voir ce premier tome comme un laboratoire en ébullition. On y sent Lucien De Gieter en pleine fièvre créatrice, testant ses idées les unes après les autres. C’est bancal, oui. Mais c’est incandescent. Aventure, fantastique, coups fourrés, divinités oppressantes, pièges mortels, romance… tout s’enchaîne à une vitesse folle. Même quand ça déborde, même quand ça coince un peu dans un second récit plus onirique, même lorsque les dessins piquent nos yeux, on reste happé par la soif de De Gieter d’inventer et de surprendre. Il bâtit un univers dense et foisonnant, où l’Égypte antique prend vie à travers ses dieux, ses légendes, ses créatures étranges, ses intrigues de palais, et des éléments historiques bien concrets qu’on découvre avec un réel plaisir.



CONCLUSION :



Papyrus, tome 1 : La momie Engloutie de Lucien De Gieter au scénario et au dessin, est un album aussi brouillon que bouillonnant, qui donne le ton d’une saga pleine de promesses. Malgré ses nombreuses maladresses, on y sent déjà toute l’ambition de De Gieter, son envie d’embarquer le lecteur dans un tourbillon d’aventures, de mythes et de découvertes sur l'Egypte antique mythologique. Papyrus ne marche pas encore droit, mais il avance, porté par une énergie débordante qui donne envie de lire la suite.


Un fourre tout tellement dense qu'il y a de quoi largement prendre dedans ce qu'il faut pour créer de futures histoires marquantes pour le lecteur.



- Ne bougez pas ! Laissez-moi vous aider !
- Non !... C’est inutile ! Reste ici Papyrus, je veux te parler !
- Vous connaissez mon nom ? Mais qui êtes-vous ?
- Ne sois pas triste, Papyrus, je suis ta peur ! Ta peur immense, que tu as vaincue ! Maintenant tu es fort, je peux m’en aller ! Je meurs en paix ! Prends mon glaive, il fera ta force. Quoi qu’il arrive, il sera toujours à la mesure de ton courage !


B_Jérémy
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le 28 juin 2025

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