Le bleu est une couleur chaude
7.4
Le bleu est une couleur chaude

Roman graphique de Jul' Maroh (2010)

Ça se laisse lire. Je suis bon public.

Il y a du vrai et de l’organique dans leur histoire, je peux pas reprocher le contraire. Ça m’a parlé, ça m’a travaillé. C’est souvent précis dans les signes. Ces jeux de mains, ces éclairs dans le ventre, ces « Toi Toi Toi. » Mais à chaque patte d’oie, Maroh prenait le chemin facile et me perdait. Tout début de nœud se dénoue toujours la page d’après. On veut que je respire, à grande poumonnade, quand l’œuvre appelait à m’étouffer.

Beau coup de crayon.

Le bleu est une couleur chaude, comme Emma et Clem’ devant Sarko et Sego, se déchire entre sa nature politique et son habillage intime. J’entends Maroh chuchoter entre les pages : « Je veux raconter, faire ressentir mon parcours lesbien, je veux traiter du sujet, je veux la BD pour médium parce que c’est mon médium je le kiffe et je le respecte, alors promis elle ne sera pas qu’un médiocre outil discursif, je ferai de l’art aussi, je dessinerai, je veux vous faire ressentir ce que ça fait dans le ventre, et je vous ferai pleurer, promis, promis, promis. »

Du fait de cette consciente hygiène, le démon de la BD-tuto ne prend jamais le dessus, heureusement, mais il rôde, pas loin, difficile à cacher, et on lui donne à manger. On garde le contrôle sur la matière, on empêche celle-ci de s’emballer, on empêche l’esthétique de s’emballer, consciemment ou pas, faudrait pas trop détourner le regard du discursif.

Exemple : la mort de Clémentine.

Ce matériau-là n’est pas assumé pleinement jusqu’au bout. Clémentine trompe Emma, Emma la fout dehors, Clémentine s’auto-détruit aux médicaments et meurt donc à cause d’Emma, sur le papier c’est une belle tragédie, mais par deux ou trois tours de magie et bonnes phrases, Maroh balaie toute culpabilité et toute ambiguïté morale. L’amour est éternel et la chaleur du bleu est sauvée. Elle laisse pas le feu lui échapper des mains, sa BD doit pas devenir autre chose que ce qu’elle veut qu’elle soit.

Alors pourquoi cette mort si on n’en veut pas vraiment ? La mort d’un personnage, un outil d’écriture ? Un moyen de contrôle ? Un cloisonnement de l’affaire dans une bulle, bien ronde, facile à maîtriser, qui dégouline pas ? On voulait juste raconter ce passé lycéen, pas déborder ?

Nan mais ça se laisse lire.

Scolopendre
7
Écrit par

Créée

le 24 oct. 2025

Modifiée

le 26 oct. 2025

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Scolopendre

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