Damasio a tout dit dans sa préface. C'est trop fidèle. Et cela trahit tellement, et moi qui ait si longtemps eu peur de la lire, lire une adaptation d'un roman dont je ne me suis jamais vraiment remis, qui a guidé ma vie, qui m'a façonné à coup de rafales, moi qui tente de mériter le fait d'être hordonner, de devenir le trente quatrième membre de la horde, moi qui sentait que chaque trahison me resterait en travers de la gorge, je les aime toutes, ces trahisons.



Aux âmes vierges : La bande dessinée, porte d'ouverture vers le roman



Cette bande dessinée est juste, genre, la meilleure porte d'entrée que je n'ai jamais vu dans une oeuvre pas toujours complètement abordable, dont les 50 premières pages s'avalent difficilement et en ont dégoûté plus d'un, dont certains passages sont même complètement imbuvables.
Tout simplement parce que j'ai parfois l'impression que le bédéiste a mis de l'ordre sur du chaos, et vous aurez ici une magnifique bande dessinée qui est très agréable à lire, qui coule toute seule.


Ensuite, en dehors de sa qualité d'adaptation, c'est à mes yeux simplement une excellente BD, c'est impressionnant de voir comment certaines impressions sont rendues par diverses techniques, la façon dont les rythmes des cases viennent vous surprendre, dictent votre rythme de lecture, et dans sa composition à mes yeux, on atteint un certain niveau de travail, de qualité que j'ai rarement vu aussi poussé.


Et même dans cette critique, je vanterais énormément sa qualité d'adaptation, car rarement j'en ai vu de plus belles, au point d'en être vivement ému, je tiens aussi à vous dire qu'elle peut se lire de façon totalement indépendante du roman, et qu'elle est juste géniale en soi, et je suis persuadé qu'elle saura transporter les âmes vierges de toute lecture dans ce monde. Certaines choses notamment sont simplifiées, ou du moins rendu plus évidentes encore que dans le roman, sans jamais à mes yeux que cela tombe dans le trop simplifié.



La fidélité, presque trop grande fidélité



Commençons par ce qui est simple : Le dessin est d'une fidélité terrible au roman. Quand je vois certaines planches, j'ai la description exacte en tête du roman. Et je trouve ça juste épatant la façon dont il a réussi à montrer tout ce qui correspond aux débuts du roman, le contre du furvent. Honnêtement, je me souviens de mes efforts terribles à la relecture pour essayer de visualiser ce qu'il se passait exactement ici, sans en être vraiment capable, et là, Eric Henninot, ce bédéiste que je ne connaissais pas, vient me le dessiner. Et le tout en représentant le vent.
De même, lorsque je vois toutes les façons dont Golgoth est représenté, tantôt gorce, tantôt gros plans sur ses yeux vairons, tantôt son sourire. Ce que je veux dire par là, c'est que La Horde du Contrevent est pour moi impossible à visualiser intérieurement, à imaginer. En grande partie à cause de ses phrases parfois si complexes, du fait que 50 % de nos connaissances sur un personnage et de notre vision de lui nous sont données par son langage, sa façon de parler à la première personne, par certaines scènes. Par ses actes. Et souvent, il apparaît extrêmement différent, complexe, bigarré. Et lorsque je vois certaines scènes, je vous assure que je visualise presque la page, car le dessin est fidèle au style, aux mots. Et ça, c'est vraiment épatant.


Ensuite, c'est fidèle au scénario. Tout simplement. C'est assez impressionnant de voir que finalement, il n'a été que peu haché, peu modifié, par rapport à ce à quoi on pourrait s'attendre face à une œuvre pareille. Et en plus, cela montre toute la horde, en pourtant très peu de pages. Franchement, allez intégrer Larco ou les deux jumeaux tout en essayant de montrer la génialité de Caracole, la complexité et le poids de Golgoth, montrer Sov qui est pourtant si effacé, faire comprendre qui est Erg au passage, ne pas zapper en trois cases le petit croc qu'on ne reverra pas... Un vrai défi, surmonté avec brio.


Le plus important : c'est fidèle à toute la philosophie de ce livre, toute sa symbolique, à tout son esprit, à son vif. Les lecteurs du roman me comprendront. Je vous mets en spoiler, quelques petites choses qui m'ont particulièrement épatées, épatées à me rendre fou, j'en pleurerais d'émotion. Quelque part, tout y est déjà, sans rien spoilé, et ça, c'est magnifique.


Golgoth a les yeux vairon : les deux vifs qu'il transporte.
Il y a quantité de phrases percutantes au début du roman, mais ce ne sont pas n'importe lesquelles qui ont été gardées. Il reste vraiment l'essence, notamment toutes celles autour de la quête de soi, du vif.
Ce symbole qui vient former le o de horde sur la couverture. Et le vif de Pietro qui est dessiné.
Dernière planche, deux dernières cases.
Ce Sov dont on comprend à un regard, sur une case parmi tant d'autre, tout le complexe qu'il peut avoir par rapport à Pietro, tout ce qu'il pourrait y avoir de jalousie, mais qui se transforme en admiration avec un peu de regret de ne pas être à la hauteur.



La trahison, une porte vers une nouvelle lecture de La Horde



La simplification : L'œuvre est simplifiée, on cerne tout de suite des thèmes, des enjeux, là où tout est plus diffus dans le roman à mon sens. Là où dans le roman, tout a tendance à tous le temps se mêler, et on dénoue les fils, on apprend à se repérer, ici une grille de lecture nous est donné. Il est montré, dit, répété et redit, parfois lourdement, que la horde est un bloc mais aussi des individus difficiles à souder. Il y a une véritable trame narrative qui apparaît : Les momes qui partent depuis l'extrême aval (situation initiale), le furvent et l'arrivée de Corriolis (evènement perturbateur), péripéties (aider les abrités, les tensions, l'agonie du prince) et l'hordonation de Coriolis (situation finale). Et j'ai envie de dire : c'est normal, il faut bien découper en plusieurs tomes cet épais roman !
Elle simplifie également un certain nombre d'éléments en montrant de façon très évidente, là où cela me semblait plus subtile dans le roman : le désespoir de Sov face aux morts, les souhaits des planqués, la scènette du papa et du fils qui meurent sous le vent... A mes yeux, c'est une façon d'ordonner ce roman, de faire comprendre des enjeux complexes à des lecteurs potentiellement totalement naïf face à l'objet qu'ils tiennent entre les mains, et cela ne me pose aucun soucis.


Gros changement : le début. Je tenais juste à dire qu'il était parfait. Cela ne commence pas comme dans le roman, on est pas jeté dans le vent et le contre dès la première page, et c'était finalement très bien. Cela permet de saisir un tas de choses pour les néophytes, c'est un véritable plaisir de voir ce début et cette interprétation de l'extrême aval pour moi.


Une interprétation : Ce qui m'a le plus frappé, chez Damasio, c'est la ponctuation. Comme elle vient dès la première page, comme elle vient indiquer tout le souffle du roman, représenter le vent, tout ce que cela peut impliquer, c'est incroyable. Dans la BD, seule une petite mention de la ponctuation vient, pour expliquer comment on note le vent, abréviation de toute une scène explicative où on voit surtout Caracole fricoter avec la jolie Coriolis, mais qui vient aussi normalement poser énormément de bases sur le vent. Bref, toute cette partie qui me semblait si essentielle, elle a été balayée d'un revers de main.
Et j'aime sincèrement la façon dont cette bande dessinée vient mettre le doigt sur d'autres choses, des choses auxquelles j'ai été moins sensible, notamment sur le personnage de Sov, comme elle vient mettre en évidence la question du lien entre les membres, comme elle montre dès le premier album la question du vif, comme il y a déjà tout ce qui concerne l'histoire. Et tout en étant incroyablement fidèle à toute cette matière, elle vient proposer une interprétation, interprétation de Caracole qui apparaît en demi-fou avec cet accoutrement, qui met en avant ses punchlines et ses talents de conteur, sa relation très particulièrement au vent, quitte à mettre de côté sa légèreté, la façon dont il compte fleurette à Coriolis. En bref, à mes yeux il apparaissait aux premières pages léger, frivole, inconstant, et ici il est surtout inconstant, mystérieux et apparaît comme assez sérieux malgré tout ce que les autres en disent autour de lui, face de sa personnalité qui se révèle un peu plus tard dans le roman à mon sens.


Et à mes yeux , cette bande dessinée est réussie précisément pour ça, parce qu'il s'agit d'une vraie adaptation, d'une vraie interprétation, d'une façon de revoir l'œuvre, et j'ai une confiance absolue dans la qualité des tomes à venir. Je vous encourage vivement à lire cette œuvre, que vous connaissiez ou non le roman.


Vous pouvez également retrouver cette critique sur mon blog, qui réuni mes articles et ceux de quelques amis sur divers livres.

Fictifalcyone
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le 9 janv. 2018

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