Vallée de Jigokudani, dite la vallée de l’enfer.


Un beau jour, Rhésus, un macaque peu commun, arrive sur une planète inconnue à bord d’un satellite mal en point. Avec sa tenue vestimentaire pas piquée des hannetons, il fait grosse impression sur les singes du coin : de bien primitifs macaques qui jusqu’alors vivaient en tribu, maltraités par leur chef. Bref tout ce qu’il y a de plus classique pour des macaques dignes de ce nom.


Or ce Rhésus est un vieux singe passé maître dans l’art de la grimace, et, ni une ni deux, il commence à faire son show. Plein de sérieux et d’emphase, il déblatère un tas d’histoires à propos d’un certain « Diou », jusque-là inconnu au bataillon, mais qui serait en fait une entité divine, une intelligence supérieure qui aurait créé le monde et la vie. Rien que ça. Très impressionnés, les singes renient ancien chef, leurs anciennes coutumes et traditions pour se tourner vers Rhésus et embrasser la religion de Diou, plongeant tête baissée dans une foi aussi pure que naïve.


Le crépuscule des idiots est un ouvrage assez conséquent : presque trois cents pages, de quoi laisser de la place pour un développement original et intelligent. Il fallait bien ça pour s’attaquer à un sujet pareil ! Ainsi, tout en relatant les événements majeurs venus troubler la paisible existence des singes de la vallée, le récit s’attarde sur le destin de quelques macaques en particuliers. Nous citerons Taro, hier despote du clan, aujourd’hui paria. Nitchii, hier rejeté par les siens, aujourd’hui grand prêtre, apôtre, peut-être même héros de la prophétie annoncée par Réesus : celui qui mènera à bien le changement annoncé, en guidant les habitant de la vallée de l’enfer vers la félicité et l’opulence.


À sa manière, l’œuvre de Krassinsky soulève les grands questionnements métaphysiques que rencontre chaque religion à ses balbutiements, et auxquels l’existence de Diou apporte un nouvel éclairage. Un éclairage distordu, car le décalage entre la véritable histoire des origines de la religion chrétienne, et celle de singes idiots qui peuplent la vallée, est parfaitement propice à susciter le rire. Par exemple, sous la plume de Krassinsky, le fruit défendu n’est plus une belle pomme bien ronde et croquante, mais une sainte banane.


Au cours du récit, le culte de Diou échappe au contrôle de Rhésus et de Nitchii. Vient alors le temps des premières prières, des premiers idolâtres, des premiers blasphèmes, des premiers miracles et des premiers apostâtes. Et le temps des discordes. Car bien sûr, celui qui détient la parole de Diou, détient le pouvoir terrestre. Il suffisait que les singes comprennent ça pour que leurs luttes intestines repartent de plus belle !


Ce n’est pas la première fois que Krassinsky s’attaque à une histoire menée par des singes (cf. Le Singe qui aimait les fleurs). Aussi, si graphiquement il nous avait déjà habitué à son habile coup de patte, son travail a pris aujourd’hui une toute autre envergure, une ampleur nouvelle, une profondeur inédite (et j’en passe). Ces trois cents pages de pur plaisir avec lesquelles il nous revient sont à mettre entre toutes les mains, le plus vite le mieux, car comme le dit Hisayo, la belle femelle macaque : elle est rudement bien trouvée, cette histoire de Diou !

Lalo Cura

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