L'art des rebondissements et des contre-pieds : La morale expéditive d'un anti-héros

Critique des deux premiers tomes regroupés en un seul volume :

Le Nouvel Angyo Onshi est par sa nature même une oeuvre originale. L'auteur coréen nous livre ici un manga, c'est-à-dire une oeuvre publiée au japon et qui souhaite toucher un public japonais. Faisons nous donc un face à une oeuvre qui abandonne les influences du manwha ? Si les deux genres ne sont pas fondamentalement différents, on remarque malgré tout des traditions différentes notamment lorsqu'il s'agit du dessin. Les dessins du Nouvel Angyo Onshi tiennent ici bien de la tradition coréenne.
S'il adapte une partie des figures de personnages à des habitudes japonaises surtout les figurants, on retrouve ici malgré tout un soin très coréen égale de case en case ( bien que je n'ai lu pour l'instant que les deux premiers tomes). Volonté d'élégance, de charisme apporté à tous les personnages principaux, et toujours ponctué pour les héros masculins souvent d'un raffinement presque féminin. Cette qualité artistique rend souvent les héros masculins moins impressionnant. bien entendu, c'est aussi un aspect récurrent dans les manga, mais moins systématique notamment dans les seinen destinés à un public adulte, des manga qui varient davantage les types de héros. Ici le héros malgré tout garde une masculinité très agréable sans être exacerbée. On se souvient de Sun Ken Rock, un manhwa qui justement cherchait à tendre un héros viril et brutal qui nous rappelle aisément des figures masculines comme celles de Tetsuo Hara (Hokuto No Ken, Jojo's bizarre adventure) ou le Berserk de Kentaro Miura. Cette digression mise à part, le soin apporté de manière égale au dessin est très important, car il permet à la fois de donner du charisme aux personnages mais aussi d'éviter un écueil selon moi de nombreux manhwa. Alors que traditionnellement et majoritairement (bien que nombre d'oeuvre ainsi que Berserk font exception) le manga se repose sur des fonds blanc pour faire ressortir les dessins, les manwha ont la fâcheuse tendance selon moi a crayonner toute la case et à faire disparaitre ce vide d'arrière-plan, rendant la lisibilité des scènes parfois peu évidente. Nous retrouvons ici cet abandon du fond blanc mais le soin du dessin et la mise en scène efficace permet ici d'être à quelques cases exceptées très lisibles et agréables à lire. Je tiens à mentionner ce fait, car si certains sont plus ou moins comme moi allergique à cette particularité, il ne faudrait pas s'y arrêter a priori, puisque cet aspect n'est ici pas un défaut en soi. Malgré tout c'est peut-être une des raisons qui a rendu la lecture du premier chapitre du premier tome moins entraînante pour moi.

Malgré tout, un aspect bien plus important m'a poussé à continuer et continue de me passionner : le scénario. Le rythme de l'intrigue peut paraitre découper en mini-intrigues autonomes surtout dans les deux premiers tomes. On pourrait craindre alors une structure ennuyante et basique, le héros arrive quelque part tue un monstre et continue ainsi de suite son périple. Pourtant, une intrigue principale se dévoile légèrement à la fin du tome 2. Ces mini-intrigues nous permettent donc surtout d'introduire les héros et leur personnalité. Mais des tomes purement introductifs avec des histoires indépendantes, c'est exactement ce qui rend pour moi un début de manga relativement ennuyant et m'empêche souvent d'y voir une véritable oeuvre de qualité. Mais Le nouvel Angyo Onshin est vraiment à part, chaque mini-intrigue nous livre des rebondissement, et prend à contre-pieds le spectateur de manières souvent inattendues. J'aimerais pouvoir en dire plus, mais je devrais alors révéler des passages très importants de l'intrigue au risque de gâcher la lecture des premiers tomes. Je me contenterais donc de dire que l'on ne cesse d'être surpris par le héros qui nous est présenté. Le premier chapitre semblait présenter un héros vraiment peu à mon goût, gentil et nonchalant, efféminé, qui se révèlerait comme puissant dans les scènes d'action. C'était donc mal parti pour moi, mais un véritable twist finira par me rassurer complètement. Je ne m'y attendais vraiment pas, l'auteur joue vraiment avec les a priori de ses lecteurs sur les héros dont il a l'habitude de voir.
Ce rebondissement passé, j'ai craint à un moment que le héros se révèle malgré tout, certes moins agaçant, mais malgré tout classique. Et pourtant les deux premiers tomes nous livrent des scènes assez efficaces qui continuent à nous prendre à contre-pieds, en nous présentant un véritable anti-héros qui n'hésite pas à user de ruses, de mensonges pour arriver à ses fins. Une scène du chapitre deux nous présente une action du héros très pragmatique, pas spécialement immorale, mais qu'on ne s'attend pas de la part du bon héros habituel. On a tendance à s'attacher très rapidement à certains personnages rencontrés, qui disparaitront très rapidement. Bien sûr cet attachement trop rapide reste bien trop superficiel pour nous accabler de leur perte et laisser un amer goût pendant la lecture, mais a une véritable utilité pour révéler la particularité de ce héros.
La morale de l'angyo onshi est aussi très intéressante, car elle n'est pas vraiment manichéenne, elle suit une maxime finalement assez courante, "La chance sourit aux audacieux". Ici adapté ainsi : "Les angyo Onshi aident ceux qui cherchent à résoudre eux-même leur problème". Le héros n'aidera donc pas ceux qui ne font que se plaindre et attende comme le sauveur l'angyo onshi. La responsabilité individuelle de chacun est mise à l'épreuve, l'angyo onshi n'est pas la pour pallier à l'inertie des humains mais bien à encourager et à soutenir ceux qui luttent pour le bien. La notion de bien est très importante dans ce manga, car la morale du héros est très claire, il n'essaie pas spécialement de comprendre les faiblesses humaines, et tout ceux qui se livrent aux propensions basses des héros, à des péchés vis à vis de la morale, seront ces cibles. Il ne suffit pas d'être cruel ou profondément mauvais pour s'attirer le courroux de l'angyo onshi, il suffit d'être lâche, égoïste ou égocentrique. L'angyo onshi semble en effet contre tous les comportement remettent en cause des structures sociales pleine de valeurs. Le respect des aïeux sera un thème abordé par exemple. Les crimes vis à vis de la morale ne sont pas pardonnées par l'angyo onshi.

Ce qui est intéressant aussi, c'est que cette justice expéditive et qui semble vide de compassion, n'est pas non plus la thèse livrée par l'auteur. Certains chapitre notamment dans le deuxième mettront en avant que si la nécessité d'angyo onshi itinérants peut se faire sentir, une telle violence ne pourrait en aucun cas être à même d'instaurer une véritable société, elle ne peut être la source de la direction positive d'un pays, d'un gouvernement. Le héros ne permet pas en soi d'instaurer la justice, il permet à celle-ci de survivre à ces éléments qu'elle ne peut contrôle. Le caractère même du héros nous est présenté d'une manière plus subtile, sa volonté de solitude découle d'une impossible de faire confiance aux hommes, résultant d'événement passés encore inconnus mais qui semblent gorgés de trahisons et de morts. L'héroïne qui s'intègre au récit et finit par accompagner le héros, semble elle moins subtile, plus attendue mais son intérêt réside justement dans le rapport qu'elle entretient avec notre méfiant angyo onshi qui ne souhaite pas vraiment de compagnie qu'il s'attend à être décevante. Cette héroïne a un autre intérêt, formidable guerrière ayant droit à de belles scènes d'actions, elle est met en avant la relative faiblesse du héros très efficace contre les humains, beaucoup moins contre les démons. Elle pallie ainsi à ses faiblesse. Au-delà de permettre un héros moins tout-puissant, cette caractéristique met en avant le rôle d'un angyo onshi qui est avant tout de punir les hommes qui le méritent. C'est bien l'humanité qui est mis en avant. On pourra cependant s'interroger sur l'intérêt de la tenue pour le moins minimaliste de cette héroïne dont semble surtout de mettre en avant un physique pour le moins sympathique.

Ce manga a aussi une particularité qui est une véritable plus-value selon moi, chaque fin de chapitre nous livre un résumé des inspirations de l'auteur pour les événements qui viennent de s'écouler. On en découvre alors petit à petit davantage sur l'histoire de la Corée, du japon, sur leurs littératures et leurs légendes. Si l'auteur insuffle à chaque fois du fantastique dans des événements historiques ou littéraire qui en sont parfois dénués, il garde l'ambition malgré tout de révéler l'essence et la mentalité de l'époque, de nous livrer l'esprit, les valeurs et les problématiques de ces périodes passées. Il livre aussi régulièrement quelques cases racontant son rapport personnel et biographique avec le japon en tant qu'auteur coréen. Tous ces éléments ajoutés permettent finalement de donner de la profondeur à son récit et nous pousse à chaque fois à apprécier pleinement les futures intrigues qu'il nous offrira en cherchant à suivre au-delà d'une intrigue, des éléments révélateurs de ces pays.

Avantage purement commercial, cette série est éditée maintenant en volume regroupant pour le modique prix de dix euros deux tomes. Et peut-être faut-il d'ailleurs lire d'une traite les deux premiers tomes pour vraiment commencer à se passionner pour cette intrigue !

Courte synthèse en une ou deux phrases (jusqu'à ce que j'ai le courage de reprendre tout ça) des tomes suivants.

Le volume 2 : Un volume légèrement moins passionnant que le premier car on commence à cerner davantage la personnalité du héros qui nous surprend donc moins qu'auparavant, mais une véritable intrigue principale commence à se développer progressivement. De plus l'arrivée du grand méchant et sa présence dans le tome 4 permet de retrouver un nouveau personnage ambigu qui surprend comme ceux des deux premiers tomes ! Apparaît aussi quelques rares pages de flashback disséminés sur notre héros à la fois attrayante et frustrante. Le héros avait visuellement bien plus de charisme dans le passé et, caractériellement, il semblait aussi plus passionnant, or aucun long flashback, seules quelques pages donnant envie d'en savoir plus, très frustrant ! Pour l'intrigue principale, elle se révèle notamment à travers l'apparition d'une succession d'ennemi faisant partie du passé du héros. Des liens du passé apparaissent alors, mais j'ai personnellement trouvé dommage de voir se succéder ainsi tant d'ennemis dans un temps très court, dans une même intrigue, sans pouvoir les développer pleinement.

Le volume 3 : Dans la continuité du tome 2, il en devient malgré tout aussi passionnant que le premier tome. Le personnage d'Ajite, l'ennemi du héros, est présent par intermittence. Son ambiguïté et son mystère le rendent très intense lors de ses apparitions. De plus, l'intrigue principale continue et devient plus passionnante encore. Même des récits secondaires se trouvent ici directement liés à la poursuite d'Ajite. On apprends aussi un certain nombre d'éléments sur le passé, qui suffisent à vraiment attiser notre curiosité concernant celui-ci. L'auteur semble avoir définitivement quitté le stade introductif pour poser solidement son intrigue..