Maintenue en vie artificiellement et guérie de ses blessures, Adèle Blanc-Sec a dormi pendant toute la guerre (1914-1918). Revenue à la vie par l’intervention du première classe Lucien Brindavoine (« mutilé volontaire, médaillé, pensionné de guerre et alcoolique » comme il se présente avec amertume), Adèle le laisse en plan parce qu’elle le trouve lourd. Tout cela pour retrouver un appartement où un monceau de courrier s’est accumulé derrière sa porte d’entrée. Pourtant, l’appartement semble l’attendre après toutes ces années, loyer et factures payés, mais par qui ? De plus, une désagréable surprise l’attend dans son placard de salle de bain.


Désabusé, Brindavoine erre dans Paris, la nuit. Il y rencontre un homme qui joue de l’orgue mécanique dans les rues. Un anarchiste et philanthrope (un singe sur son épaule, vêtu comme un marin) qui lui assène d’un air dégouté « LA CLEF… petit jeune homme, c’est que le monde n’est qu’un cirque ! une arène abominable ». Principe que Tardi illustre tout au long de l’album. Les artistes de cirque interviennent dans l’intrigue. Il est question du duo Panade et Rémoulade, mais également du trio de clowns Arthroz, Glucoz et Potetoz. Un certain Norbert Troupier (cousin de Brindavoine) pourrait être l’un d’eux. Norbert Troupier a envoyé une lettre à Adèle, lui fixant un rendez-vous rue des culs-de-lampe. Bien que méfiante, Adèle la curieuse ne peut s’empêcher d’y aller. C’est ainsi que Lucien Brindavoine (venu aux nouvelles) la découvre à son tour. Par hasard (!) Adèle tombe sur quelqu’un cherchant également Norbert Troupier et qui lui apprend que Troupier aurait d’importantes révélations à lui faire. Au sujet des vraies raisons qui auraient conduit à la guerre. On peut imaginer que, n’ayant rien vécu de cette guerre, Adèle peut être la personne idéale pour écouter ces révélations.


Dans le même temps, dans des circonstances étranges, la police découvre un noyé dans le canal Saint-Martin, un homme à deux têtes.


Dans le canal, puis dans Paris (gare de l’est notamment), d’immenses tentacules rouges de pieuvre émergent étrangement (comme venus de nulle part), pour semer la panique et tuer des victimes innocentes, sous l’œil d’un homme impassible qui répète dans sa tête « Que d’horreurs !!!... Après quatre années de guerre… comme si ce n’était pas suffisant !... » Cette pieuvre symbolise probablement ce destin qui emporte les uns et les autres de façon tout à fait aveugle et injuste, Tardi laissant entendre que la fin de la guerre ne signifie pas la fin des nombreuses injustices dont sont victimes les uns et les autres, conséquences de la guerre ou pas.


Bien évidemment, la nature humaine étant ce qu’elle est, dès que les hostilités sont finies, on cherche à s’amuser. D’où la présence des clowns et des attractions de cirque peu reluisantes (voir l’homme canon et la femme mitraillette).


Un album étonnant (qui commence aux premières heures du 11 novembre 1918, jour de l’armistice), dont le scénario regorge d’éléments qui ont leur importance. Après un épisode correct mais mineur dans la série, Tardi fait feu de tout bois pour, une fois la guerre terminée, montrer que cette tragédie humaine n’était qu’un épisode sanglant dû à la folie humaine, folie humaine toujours à l’œuvre. L’album commence très fort avec la découverte de nuit, du noyé à deux têtes. Tardi déploie un humour ravageur dans le dialogue entre les deux policiers faisant leur ronde. Il en profite au passage pour glisser un clin d’œil discret à Jean-Claude Forest, son complice pour l’album Ici-Même. Brindavoine est un désabusé chronique qui traine son mal être de bistrot en bistrot. Son errance le mène non loin de la gare de l’est, où il monte un escalier en direction de la gare du nord (lieu typique montré par Jeunet dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain). Tardi poursuit avec bonheur son exploration de la capitale, nous montrant également les passages sous verrières qui conduisent d’une rue à une autre au milieu de boutiques diverses (celles de farces et attrapes est tenue par Roy, avec ses verres de lunettes en culs de bouteilles). L’évolution esthétique observée dans un album en marge de la série (Adieu Brindavoine suivi de La fleur au fusil) encore timide dans Le secret de la salamandre est désormais indéniable, les couleurs ternes des 4 premiers épisodes (qui collaient parfaitement à l’ambiance rétro) cèdent désormais la place à d’autres beaucoup plus éclatantes, mises en valeur par un papier plus glacé. Point remarquable, si cette évolution indique une légère évolution dans le ton général de la série, cette dernière n’est en rien dénaturée et profite même d’un nouveau souffle, car Tardi semble encore plus libre.

Electron
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le 29 juin 2015

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