Grâce à son album Le Prince et la couturière, l’américaine Jen Wang peut savourer la satisfaction d’avoir eu deux récompenses lors des prix les plus célèbres des deux côtés de l’Atlantique dans le domaine de la bande-dessinée, avec le Prix Eisner de la meilleur publication pour adolescents et le Prix jeunesse du festival d’Angoulème.

L’intitulé de ces deux prix pourrait être trompeur, car les quelques qualités de l’œuvre lui permettent d’être lue et appréciée par un adulte, bien entendu.

Le Prince et la couturière donne déjà de grandes indications avec son titre, puisqu’il sera question d’un conte qui dépasse les frontières sociales, pour offrir comme morale un beau message de tolérance.

Dans une France du XIXe siècle, Francès est ainsi une petite couturière, une jeune femme du peuple, habituée à courber la tête face aux demandes des plus grands de ce monde. C’est pourtant une de ses créations pour le bal royal du Printemps qui va attirer l’attention sur elle, une robe iconoclaste pour une jeune héritière qui voulait marquer sa désapprobation de devoir être présente. Pour cette création qui attire tous les regards et les critiques, Francès risque alors d’être licencié de l’entreprise où elle travaillait, quand un émissaire lui propose de travailler pour son employeur, une aristocrate.

« Cette » aristocrate, il s’agit en fait du prince royal de Belgique. Celui-ci lui demande son aide et son silence pour composer les plus belles robes possibles. Car celui-ci n’aime rien de moins de s’habiller en femme, devenant alors un nouvel homme, en quelque sorte. Si Francès est sur la réserve devant une telle proposition, elle comprend qu’il s’agit d’une offre unique à la vue de ses origines, récompensant son travail et ses idées. Avec elle, le Prince va pouvoir se créer un alias, la belle Lady Crystallia, qui pourra laisser parler sa personnalité, loin des convenances des couloirs aristocratiques. Le personnage va alors acquérir une célébrité de plus en plus grande qui ne sera pas sans conséquences entre le Prince et Francès.

Entre eux deux, va donc se créer une relation de confiance et de respect, une belle construction complice qui sera le fil majeur du récit. Le Prince est plus exalté, plus sensible, capable du meilleur comme du pire, peu importe sous quelle identité. Francès est sur la réserve, mais on la devine de plus en plus admirative de cet aristocrate qui recherche un espace de libertés qu’elle peut favoriser grâce à ses compétences.

L’enjeu ne sera pas seulement la confection de la plus belle robe possible, mais aussi de ses conséquences sur soi-même et les autres. Différents personnages gravitent autour, traduisant aussi l’effervescence de la société de l’époque, de sa foisonnante scène artistique et théâtrale jusqu’à l’avènement des grands magasins, traduisant ainsi deux orientations possibles de ce métier de couturier, entre la création artistique et celle pour le commerce. Différentes possibilités qui seront offertes à Francès.

Bien sur, cela n’ira pas sans quelques difficultés, car un tel secret sur les désirs cachés du Prince ne pourra être longtemps dans l’obscurité, sa mise en lumière sera brutale. Mais Jen Wang fait le choix d’une conclusion douce et tolérante, qui ne peut exister que dans le cadre d’un tel conte humain. Ce qui est possible dans le livre n’aurait pas été accepté dans la réalité de ce XIXe siècle bourgeois, aristocratique et corseté. La morale est donc évidente, celle d’une belle et fraternelle tolérance. Si l’habit ne fait pas le moine, chacun devrait être libre de vivre et de s’habiller comme il l’entend. Il n’y est d’ailleurs pas tant question de genres mais des préjugés réducteurs de ceux qui s’offusquent facilement et des possibilités émancipatrices de quelques bouts de chiffons.

Jen Wang profite d’ailleurs de sa pagination qui atteint presque les 300 pages pour offrir un rythme de lecture doux et plaisant, en dehors de sa conclusion un peu brusque. L’auteure offre à ses personnages un espace libérateur, pour exprimer ou bien laisser supposer leurs doutes et leurs joies. La mise en page est très aérée, sans nécessité de multiplier les cases inutiles. Cela permet au trait rond et assez cartoon de Jen Wang d’exprimer l’étendue des émotions de ses personnages, très bien retranscrites. Les arrières-plans sont d’ailleurs assez peu détaillés, voire absents, le faste de ces vies de châteaux ou des escapades du duo dans un Paris moins luxueux étant absent. D’ailleurs, pour toutes ces raisons, ainsi qu’avec cette colorisation aux couleurs naïves et franches, l’ensemble rappelle ainsi un dessin animé figé dans un album de bande-dessinée.

La facilité des histoires du duo pourra décontenancer un public plus adulte, habitué aux histoires qui se terminent mal. La tragédie est absente du Prince et de la couturière, bien qu’un peu plus de dramaturgie n’aurait pas nuit à cet album aux angles un peu trop arrondis. La belle et simple relation entre le prince et sa couturière offre cependant une belle histoire, à l’humanité assez éclatante. Jen Wang offre ainsi un beau message d’écoute et de tolérance, sur plusieurs niveaux, qui réconfortera bien quelques coeurs.

SimplySmackkk
7
Écrit par

Créée

le 29 nov. 2022

Critique lue 60 fois

5 j'aime

6 commentaires

SimplySmackkk

Écrit par

Critique lue 60 fois

5
6

D'autres avis sur Le Prince et la Couturière

Le Prince et la Couturière
Fatpooper
6

Le plus travelo des belges

C'est sympa mais trop gentil. L'intrigue manque de piquant : les personnages s'en sortent trop, pendant une bonne partie il n'y a d'ailleurs pas de conflits juste des faux obstacles, une relation...

le 8 avr. 2019

3 j'aime

Le Prince et la Couturière
DameDePique
8

Une pépite !

Francès est couturière dans un atelier parisien. Un jour, une cliente se présente avec une demande particulière : elle souhaite une robe affreuse qui la ferait « ressembler à la servante du diable »,...

le 13 juin 2018

3 j'aime

Le Prince et la Couturière
RodySansei
9

Sensible, prenant, beau

Quelle maestria dans la narration, quelle mise en scène, quel dessin !! Et quelle sensibilité ! L'histoire est à la fois simple et originale, rigolote et traiter de problèmes sociaux très actuels...

le 16 mai 2018

3 j'aime

Du même critique

Calmos
SimplySmackkk
8

Calmos x Bertrand Blier

La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais...

le 2 avr. 2020

49 j'aime

13

Scott Pilgrim
SimplySmackkk
8

We are Sex Bob-Omb and we are here to make you think about death and get sad and stuff!

Le film adaptant le comic-book culte de Brian aura pris son temps avant d'arriver en France, quatre mois après sa sortie aux Etats-Unis tandis que le Blu-Ray est déjà sur les rayons. Pourquoi tant de...

le 5 janv. 2011

44 j'aime

12

The King's Man - Première Mission
SimplySmackkk
7

Kingsman : Le Commencement, retour heureux

En 2015, adaptant le comic-book de Mark Millar, Matthew Vaughn signe avec le premier KingsMan: Services secrets une belle réussite, mêlant une certaine élégance anglaise infusée dans un film aux...

le 30 déc. 2021

39 j'aime

12