Daniel Clowes revoit le mythe du super-héros; c'est un peu bateau mais il s'agit vraiment de cela. Le héros, adolescent introverti, se découvre une force surhumaine puis qu'il dispose d'une arme absolue (d'où le titre); avec ces grands pouvoirs se pose la question de leur exploitation (et des responsabilités, non je ne vais pas l'écrire en anglais), question que le héros ressasse avec son comparse.
Clowes se limite à ces quelques éléments dans ses emprunts au marvellisme: pas de supervilains, pas de pouvoirs spectaculaires, pas d'autres formes de vie intelligente. C'est une expérience: que se passe-t-il quand on place le superpouvoir dans le réel? Le résultat est effrayant.
Le héros introverti ne s'épanouit pas; il ne reçoit pas la responsabilité du bonheur commun; misanthrope, il n'utilisera que rarement ses pouvoirs et seulement à son propre usage. Pourtant, cet homme est animé par une éthique très rigide, que son affrontement avec son comparse, lui animé par des pulsions adolescentes très instables et ambivalentes (vas-y tue ce mec/oh c'est trop grave ce qu'on a fait) met en lumière. Nous avons donc un personnage aussi indomptable que le Rorschach des Watchmen, mais sans aucun des traumas que nous raconte Terrible symétrie, et montrant sa force dans la retenue (là où Rorschach ne peut s'empêcher d'affronter le monde).
Je pourrais aplatir le propos de Clowes en affirmant que tout homme normal peut devenir un psychopathe. Je vais demander l'indulgence du lecteur et lui demander de s'arrêter sur cette autre formulation: tout homme normal est un assassin en puissance. L'homme normal, pas le trader fou d'argent d'American Psycho, pas l'homme embarrassé de son inconscient ou de son carcan social; non, cet homme normal comme seule la suburb américain a su le produire dans notre imaginaire.
Bien sûr, le mythe du superhéros est détruit. Mais en passant; je pense que pour Clowes, le travail a déjà été fait avant.
Ce propos effrayant est distribué dans une suite de formes courtes: du strip à la scène de deux pages maximum. Cette discontinuité, qui exclut toute la lourdeur démonstrative que mes paragraphes précédentes pourraient laisser croire, permet de varier les formes de façon tout à fait virtuose. On ne sera pas surpris de trouver quelques strips dessinés comme des comics des années 50, bien sûr, mais ce ne sera pas le seul exemple de moments où Clowes détache clairement les dessins des dialogues. Je trouve particulièrement impressionnantes les dernières pages où le héros résume sa vie d'adulte; les dessins montrent ce qu'il s'est passé, mais au lieu de se trouver en récitatif en haut ou en bas de la case, le récit du héros se trouve dans des bulles. Du coup, les temps se confondent et la violence des propos semble être lancée contre les autres personnages, auquel la parole est bien entendu interdite. C'est cette inventivité formelle qui me rend plus compréhensible l'admiration de Chris Ware pour Clowes.
Surestimé
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le 21 févr. 2011

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