La couverture montre Superman arborant la faucille et le marteau en lieu et place de son S, et le quatdecouv explicite aussitôt cette image frappante: Superman est tombé en Ukraine au lieu du Kansas, et voilà. Voilà voilà.
Voilà voilà, car je vous propose de prendre quelques notes à partir de cette idée "uchronique" (qu'on utilise ce terme dans l'intro montre que Superman fait partie de l'histoire officielle. Les étasuniens sont fous) pendant cinq minutes. C'est fait? Toutes vos idées sont dans la Bd.
Renversement, donc: l'URSS devient la puissance dominante, Lex Luthor est au service du gouvernement américain, les supervilains défaits par Superman viennent de l'Ouest, etc. Loïs Lane, quoiqu'amoureuse de Superman, vit avec/sans Lex Luthor; sont présents également Batman, Green Lantern, Wonderwoman, la forteresse dans la glace, l'amour de jeunesse, l'invincibilité nuancée par un défaut (la lumière rouge remplace la kryptonite pour des raisons symboliques évidentes mais fonctionne à l'identique), etc.
Le tout est servi par un ton souvent ironique, sans que le "contrat" soit vraiment dévoyé: ennemis irréconciliables, batailles aériennes, technologie futuriste.
Qu'est-ce qui pose problème dans cette mayonnaise? C'est que Red Son arrive après tout le monde. Même en prenant la date d'écriture donnée (1995), Millar donne l'impression de recycler des éléments parfois déjà utilisés pour des super-héros:
- Superman s'occupe de tout, sauve tout le monde, communiste ou non (au point, affirme Wonder Woman, que plus personne n'attache sa ceinture de sécurité). Il devient une sorte de gardien de l'humanité. Cela ne va pas plus loin que les Robots d'Asimov (en partant du même principe que Superman ne peut s'empêcher de sauver) et rejoint le fameux "Who watches the watchmen".
- Lex Luthor est totalement plagié sur Ozymandias.
- Le Batman serait intéressant s'il n'était pas physiquement identique au Dark Knight de Miller, s'll ne vivait pas dans un décor tiré de Batman 2, et si son activité terroriste n'était pas totalement identique à celle de V dans V pour...
- le personnage qui endosse le costume de Green Lantern possède une mentalité qui allie le Comédien et Rorschach (Watchmen).
- enfin, et surtout, le traitement du personnage de Superman est identique à celui de Supreme par Alan Moore, et la fin est quasi identique à celle de "L'Âge d'Or". Cette dernière référence est contemporaine de la date d'écriture, il n'y a donc pas de certitude sur "l'influence". C'est toutefois vraiment, vraiment très proche.
Dire que tout vient d'ailleurs serait inexact; mais tout ce qui a un peu de consistance existe dans d'autres bd (essentiellement scénarisées par Moore). La réflexion générale sur l'hyperpouvoir donne l'impression que le scénariste a lu quelques livres sur l'utopie et le totalitarisme, et voilà. Globalement, Superman a beau avoir été élevé en URSS, les problèmes qui se posent à lui sont très étasuniens: comment équilibrer liberté et sécurité, pourquoi les gens sont aveugles au bien qu'on fait en leur nom, qu'est-ce qui fait de l'homme une créature supérieure à toutes.
On peut donc lire Red Son et apprécier qu'un comics ait un peu d'intelligence (je n'ai pas dit que j'étais d'accord avec les thèses proposées, hein), mais il faut dans ce cas n'avoir rien lu d'Alan Moore, de Frank Miller, de Neil Gaiman, ni aucun des meilleurs épisodes de X-Men ou de Spawn. Ce n'est pas mon cas, alors je me suis fait chier.
Ah, au fait: au final, ce sont bien les communistes qui sont méchants (même guidés par Superman) et les étasuniens les gentils (même présidés par Lex Luthor). Changeons tout pour que rien ne change.
Surestimé
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le 9 janv. 2011

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