Que le rendu de la lecture soit plaisant ou non à l’issue de sa conclusion, c’est toujours un plaisir illustre que de déguster une œuvre de Taiyô Matsumoto. Le dessin, à compter de l’instant où l’on pose ses rétines dessus, enchante et soulage. On aura beau dire, mais de telles prouesses graphiques constituent un véritable baume pour l’âme pour qui les contemple. Dans un milieu éditorial Seinen de plus en plus étriqué où tout tend à converger ; où tout se ressemble, Taiyô Matsumoto reste résolument à part. Jamais pour la finalité de l’être, pas par anti-conformisme de principe ; parce qu’il a un talent unique et qu’il l’exprime sans réserve.


De ses dessins, j’en ai tout dit quand je lisais Number 5, quand je lisais Amer Béton, quand je lisais Sunny, ou bien encore Ping Pong. Que dire de plus que de répéter inlassablement qu’ils sont uniques ? Éthérés, presque sortis d’un rêve sans être altérés, ils renvoient à un quelque chose qui tient à l’enfance sans être enfantins. Non, ça n’est décidément pas donner à tout le monde d’avoir un style graphique aussi distinct de ses concurrents qui, pour beaucoup, peinent de plus en plus à se démarquer les uns les autres. Un imaginaire, ça ne se décrète pas, ça se travaille. Taiyô Matsumoto n’est pas seulement un esprit fertile et original, c’est aussi un bourreau de travail qui se sera répandu en une foultitude d’œuvres et qui n’en finit pas de nous dispenser des sentiments à même de prendre vie quand il les transcrit sur papier.


J’enchaînais bien vite les chapitres qui se succédaient au cours de ma lecture comme aurait pu le faire le fil de l’eau et, alors, je me disais que je n’en retenais rien. Le sens poétique – auquel je suis difficilement réceptif – était bien là, et n’avait rien de faussement affecté ou bien d’artificiel ; il était authentique. L’orchestration du récit était plaisant pour ce que celui-ci avait d’original et d’incongru sans jamais avoir à trop en faire. Alors pourquoi un tel sentiment de frustration à la lecture ?


Contrairement à d’autres de ses œuvres qui m’ont conquis sans coup férir, Le Samouraï Bambou m’apparaissait inaccessible. Non pas qu’il fut inabordable intellectuellement, l’œuvre, malgré ce qu’elle a de lyrique en supplément, est parfaitement intelligible et n’échappera à personne. Néanmoins, c’est peut-être ce lyrisme qui m’échappe ; l’œuvre paraît n’être accessible qu’à condition d’y être réceptif sur le plan émotionnel. Or, d’émotions, je n’en ai pas tellement, d’où le sentiment d’être invulnérable aux coups portés par ce Samouraï Bambou qui, bien qu’intéressant pour ce qu’il a à faire valoir, me désintéressait.


Beaucoup trouveront l’histoire très belle et somptueuse, mais je peine à comprendre ce qu’elle nous raconte ou plutôt, pourquoi elle nous raconte ceci. Sans aller jusqu’à dire que les frasques de Souichirou ne sont que vaines rêveries poétiques, je n’ai pas tardé avant de les percevoir comme telles. Katagi, par ailleurs, ne peut même se permettre d’être comparé aux enfants de Sunny pour ce qu’il apporte à l’histoire. Il n’est pas un de ces enfants horripilants que la fiction ne dessine que trop à défaut de savoir représenter des enfants pour ce qu’ils sont vraiment, mais il me sera apparu très accessoire bien que souvent mis en avant.


En outre, le cadre narratif est quasi épisodique. Chose à laquelle ne m’avait pas habitué Taiyô Matsumoto avec ses autres œuvres. Il est d’autant plus difficile d’être concerné par une histoire – quand bien même celle-ci ne durerait que huit volumes – quand celle-ci nous est narrée en saccades, passant de la chèvre au chou d’un chapitre à l’autre. On nous raconte un quotidien éthéré de ce Samouraï atypique mais, passée son introduction, celui-ci nous devient bien commun à toujours s’enfermer dans ses élans de candeur. Les choses se passent, et voilà tout. Et ce « tout », je peine alors à m’en satisfaire.


Chaque chapitre est un prétexte visant à mieux nous prouver que Souichirou est à la fois un homme à part pour ce qu’il a d’excentricité douce en lui et de bonté. Le terme mièvre n’est peut-être pas le plus approprié quand je me risque à le désigner, il me chatouille cependant les lèvres au point de me risquer à le lui accoler. Il est bien trop parfait cette homme-là pour être foncièrement intéressant. Aussi, si le protagoniste ne convainc pas et que les personnages secondaires ne trouvent le moyen de sortir du lot en aucune occasion, à quoi se raccrocher au juste ?


Les histoires courtes qui se succèdent sont relativement sympathiques pour la plupart, comme elles pouvaient l’être du temps de Mushishi. Mais de là à dire qu’elle savent captiver le lecteur, il y a un pas, une enjambée, voire un bond que je ne me risquerais pas à commettre. Au risque de ternir le pinceau de la blanche colombe en répandant une bave acide, je dirai que le Samouraï Bambou a tout juste ce qu’il faut pour tromper l’ennui de son lecteur. Ce n’est pas quelque chose que l’on dit habituellement d’un auteur aussi prestigieux et qui, lui, mérite sa réputation. Ce serait cependant me mentir à moi-même que de dire que j’ai retrouvé ici la sève qui aura coulé dans les veines des grandes œuvres de l’auteur. De ses autres succès, je n’ai retrouvé ici que les apparats et les apparats seulement.


Ce fut néanmoins une splendide et surprenante confrontation finale que celle qui nous fut offerte. Des dessins pareils, une scénographie de cet ordre-là, jamais vous n’en retrouverez ailleurs. Le caractère artistique de ce qui se dégageait de chaque planche nous jaillissait aux yeux du début à la fin. L’originalité, alors, se conjuguait ainsi à la qualité pour nous offrir un rendu à la fois éthéré et spectaculaire, quelque part entre la quiétude et le vacarme absolu, dans un mélange des genres apparemment antithétique et pourtant si complémentaire. La toute fin, cependant, ne cherchera pas à convaincre ni même trop à conclure. Elle se présente à nous car il fallait de toute manière que l’œuvre s’achève ; peu importait alors comment cela devait s’accomplir.


Le 5/10 que j’accorde à l’œuvre, s’il vaut numériquement le même accordé à Number 5, ne représente cependant pas le même ressenti qui fut le mien lors de mes deux lectures. Number 5 m’a enchanté et transporté vers les cimes pour me lâcher à mi-chemin afin que je tombe de haut au point de me rompre ; c’était alors un 5/10 qui sanctionnait une incommensurable déception faisant suite à un enthousiasme fou. Ici, la note – qui aurait perdu un point s’il n’y avait pas eu ce combat final pour la sauver in extremis – présente alors une œuvre qui, bien qu’originale, n’est finalement que moyenne en dépit de ce qu’elle a d’unique. Je n’ai pas été déçu de ce que j’ai lu car, jamais, à ma lecture, je n’ai été enthousiasmé par ce qui défilait sous mes yeux.

Josselin-B
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le 5 janv. 2024

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Josselin Bigaut

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