Un classique parmi les classiques

• Alors, capitaine ? Quand partons-nous à la recherche du trésor ?


• Voyons... il nous faut d'abord un navire... Nous pourrons louer le Sirius, le chalutier de mon ami le capitaine Chester.... Ensuite, il nous faut un équipage, des scaphandres et tout le matériel nécessaire à une expédition de ce genre... Tout cela va nous prendre un certain temps. Disons un mois. Oui, dans un mois, nous pouvons être prêts à partir.


• À nous le trésor de Rackham le Rouge !

Les aventures de Tintin Le Secret de la Licorne est la première partie d'une intrigante et palpitante intrigue qui trouvera sa résultante dans Le Trésor de Rackham le Rouge. Le premier volet d'un surprenant diptyque, une première pour cette saga qui sera plus tard rejointe par '' Les 7 boules de cristal '' et '' Le Temple du soleil '', ainsi que '' Objectif lune '' et '' On a marché sur la lune. '' Avec ce onzième tome des Aventures de Tintin, Hergé nous propose tous les ingrédients d'une passionnante chasse au trésor. Avec un savoir-faire étonnant, Hergé livre un grand talent de scénariste en racontant l'une de ses meilleures histoires qu'il associe habilement à une maîtrise graphique d'un niveau encore jamais atteint pour cette saga. Un album ambitieux d'une richesse débordante qui met en scène une pléiade de situations et de contextes dignes de grands classiques du roman d'aventures qu'il imprègne de certains moments de l'histoire de France le tout enrobé d'une ambiance enquête policière à suspense. Un sacré mélange qui va rapidement devenir un grand classique avec ses nombreuses évocations et représentations qui n'auront de cesse de plonger le lecteur dans une quête qui ira de surprise en surprise.

Lors d'une promenade au Vieux Marché Tintin tombe par hasard sur le stand d'un vieux commerçant avec une paire de lunette pipe en bouche béret sur la tête qui vend la maquette d'un bateau ancien avec une Licorne qu'il achète pour l'offrir à son ami le capitaine Haddock. Au même moment, deux hommes surgissent, le collectionneur Ivan Ivanovitch Sakharine et un certain Barnabé, avec la ferme intention de racheter le bateau à Tintin qui devant l'insistance de ceux-ci refuse et quitte le Vieux Marché. Tintin fait la surprise au capitaine Haddock qui découvre avec stupeur que cette maquette de bateau est la copie conforme de l'embarcation de La Licorne que commandait le chevalier François de Hadoque (l'ancêtre de Haddock), un serviteur du roi Louis XIV. S'ensuit alors une pléthore de péripéties durant lesquelles on apprend qu'il existe trois exemplaires de la maquette et que chacun d'eux contient caché dans le mât un parchemin au contenu mystérieux qui, superposés indiquent des coordonnées de latitude et de longitude de l'épave de La Licorne et du fameux trésor de Rackham le Rouge, la promesse d'une grande aventure qui se poursuivra avec le douzième tome : Le Trésor de Rackham le Rouge.

Un récit riche où l'on fait de permanentes découvertes qui ne cessent d'enflammer notre curiosité et notre âme d'aventuriers qui se met à fantasmer devant cette quête qui peu à peu prend forme, jusqu'à trouver tout son éclat avec les Mémoires du chevalier de Hadoque. Un grand moment où le capitaine Haddock se lance dans une reconstitution incroyable qui place le lecteur dans une position infantile et admirative d'un oncle qui serait en train de nous raconter une histoire grandiose dont on serait totalement crédule, captif et admiratif avec des étoiles plein les yeux. Une histoire qui remonte à 1698, et qui raconte la lutte sans merci entre le chevalier François de Hadoque et le pirate Rackham le Rouge qui au cours d'une lutte acharnée lors d'une bataille navale réussit à faire exploser La Licorne et les pirates qui en avaient pris possession, s'enfuyant sur une île au large des Caraïbes avec le fameux trésor. Une séquence incroyable qui place le capitaine en première ligne qui fait littéralement vivre cette histoire en cristallisant chaque instant qu'il restitue avec une verve sans failles qu'il fait monter en degrés pour un dénouement explosif : '' Va-nu-pieds !... Ah ! Tu veux me tuer ?...'' Un sacré conteur qui sabre brandi avec un chapeau à plume sur la tête anime furieusement ce récit devant un Tintin médusé. '' Ainsi périt La Licorne, le fier vaisseau commandé par François, Chevalier de Hadoque. Et de tous les flibustiers qui étaient à bord, pas un seul n'échappa à la mort...'' Le meilleur chapitre de cet album qui est symbolisé par l'illustration de couverture du Secret de la licorne qui reprend cette séquence.

Trois Frères Unis, trois licornes de conserve voguant au soleil de midi parleront. Car c'est de la lumière que viendra la lumière et resplendira la croix de l'Aigle.

Du grand art qui recèle de nombreuses fines allusions et des références subtiles à l'Histoire, au cinéma, à la littérature, jusqu'au cercle privé du dessinateur. La fiction et la réalité se mêlent habilement pour former un tout cohérent. Ainsi l'on retrouve dans des vignettes des personnes de l'entourage d'Hergé comme Jacque Van Melkebeke qui a joué un rôle important à l'écriture de ce scénario et quelques autres. Le souci est dans le détail et Hergé l'illustre parfaitement pour cette aventure avec des allusions finement établies comme lorsque Tintin se rend chez le collectionneur Sakharine dont on peut voir en fonds d'images divers ouvrages parmi lesquels : '' L'Art et la Mer d'Alexandre Berquemann '', qui joua également un rôle d'importance autour de la conception de cette aventure en enrichissant les décors de son amour pour les bateaux. Une scène amusante qui m'a rappelé Hitchcock est présente lorsque Barnabé, l'homme de main des frères Loiseau à moitié inconscient après une agression tend le doigt vers des oiseaux pour faire comprendre à Tintin qui sont les responsables de cette incartade. Peut être que cette scène aurait 20 ans après donné des idées de réalisation pour Hitchcock avec '' Les Oiseaux. '' Apparaît enfin ce qui deviendra pendant plusieurs albums de Tintin le lieu le plus mythique, culte et insolite de la franchise : '' le château de Moulinsart. '' Inspiré par le château de Cheverny qui aura servi de modèle à Hergé pour le dessiner, il deviendra la fameuse demeure du capitaine Haddock !

Techniquement le travail est irréprochable avec une dramatisation du cadrage et de la mise en page d'une vignette qui ne cesse d'être inventive. Une composition de l'image avec un sens du détail impressionnant au service d'un code graphique à grand spectacle qui propose une grande variété de procédés venant enflammer les mirettes du lecteur. Hergé livre une construction classique qui dans sa proportion hors normes entre le premier plan et le second plan parvient à faire prendre vie à une simple case qu'on imagine s'étendre à des milliers de kilomètres passé le cadre. Hergé s'améliore et finit par atteindre la quintessence de son art par un traitement de l'image intelligent qui renvoie graphiquement à divers courants artistiques du vingtième siècle. Hergé, c'est une vignette qui découle d'une ébauche qui traduit un sentiment qui va véhiculer une émotion qui va se transformer en une sensation pour un lecteur qui rien que par une image s'évade par une méthodologie artistique habile qui en dit long sur le talent du dessinateur.

Tintin c'est aussi des personnages magnifiques ! Hergé étoffe l'un des membres les plus importants de la famille de Tintin avec le capitaine Haddock qui est à la barre de cette aventure qui le dotera d'un passé généalogique surprenant en étant le détenteur d'un passé historique dont il tiendra tout du long le gouvernail. L'introduction du capitaine deux tomes plus tôt dans Le Crabe aux pinces d'or est la meilleure idée qu'aura eue Hergé en modélisant un personnage vivifiant haut en couleur qui orientera le récit vers une évocation accrue du monde maritime. Le capitaine Haddock qui reste un protagoniste fabuleux aux nombreuses répliques inimitable : " Au large, mercenaires !... Cornichons !... Sapajous ! " Tintin toujours accompagné de Milou enfile une fois de plus son imperméable de reporter pour vivre un nouveau récit incroyable où il lui arrivera de nombreux déboires mais aussi de remarquables découvertes. Milou n'est pas sans reste puisqu'il tirera son maître d'une très mauvaise passe. Les Dupondt accumulent les gaffes en étant comme d'habitude d'une naïveté troublante devant un voleur de portefeuilles symbolisé par Aristide Filoselle, honorable cleptomane à la sincérité déconcertante. Arrive dans la famille Tintin un personnage secondaire qui deviendra récurrent avec Nestor. L'homme domestique au sens noble de la profession dans toute sa splendeur. Un homme placide a la tenue irréprochable fidèle à son maître de maison, en tant que domestique du château de Moulinsart. Une famille presque au complet auquel manque encore un membre très important qui arrivera dans sa suite : Le Trésor de Rackham le Rouge.

CONCLUSION :

Avec Le secret de La Licorne, Hergé inaugure le premier des dyptiques publiés dans la série des Aventures de Tintin. Une aventure palpitante symbolisée par une folle course au trésor qui entraînera nos héros dans des mystérieuses péripéties pleines de dangers à la recherche d’indices afin de reconstituer une carte au trésor. Un album d'une maîtrise technique sidérante autour d'une histoire savamment entretenue autour de la promesse d'une grande aventure à venir qui se poursuivra avec le douzième tome : Le Trésor de Rackham le Rouge.

Haddock est à la barre du gouvernail de cette aventure féerique réaliste et quel pied marins d'eau douce !

• Et je comprends, alors !... Celui qui a volé mon bateau savait que ce papier s'y trouvait caché. Quand il a constaté qu'il avait disparu, il a cru que je l'avais découvert. C'est pour me le reprendre que le voleur est revenu et qu'il a fouillé partout, sans se douter que le papier se trouvait sous le meuble.


• Tintin tu es un véritable Sherlock Holmes !