Schultheiss nous revient avec un pavé de 280 pages en couleur directe : Le voyage avec Bill, une quête de la guérison qui nous conduit par la route jusqu’au monde des esprits.
Matthias Schultheiss a toujours suivi un chemin singulier dans le paysage de la bande dessinée. Cet auteur allemand se fait connaître dans les années 80 en adaptant Bukowski dans un noir et blanc hachuré qui rappelle le Bilal de la première époque, puis il développe des histoires personnelles qui se caractérisent par le cynisme des protagonistes et une atmosphère oppressante et glauque. Son utilisation de la couleur, symphonie maladive de roses et de verts, en déroute plus d’un. En 1993, Propeller man est un ovni baroque et sanglant dans le ciel des super-héros, qui stupéfie par ses outrances, son alliance de grotesque et de lyrisme naïf. Depuis, nous étions sans nouvelles de l’artiste.
Le voyage avec Bill s’ouvre comme un « road-comic book ». Un père et sa fille parcourent les États-Unis en voiture... Leur existence est faite de panoramas qui défilent et de haltes dans des diners. Un jour ils prennent en stop Bill, un cul-de-jatte en fauteuil roulant. Ils feront désormais route ensemble. Bill a un objectif : il veut un miracle et cherche le magicien qui l’accomplira. Une quête qui les mènera, à travers des paysages fantasmés, à croiser d’insolites individus.
Malgré sa linéarité, Le voyage avec Bill est multiple : à la fois ode à l’amitié, fable philosophique (le matérialisme et le mysticisme s’y affrontent) et récit initiatique. Comme souvent, le parcours est autant géographique qu’intérieur et le voyage éclôt dans une fantaisie chamanique qui ravira les lecteurs de Jodorowsky, d’autant plus qu’elle est servie par des planches spectaculaires.
Ici l’auteur pousse le procédé qu’il avait expérimenté dans Sois vicieux ! son récit pornographique récemment réédité chez Delcourt. En refusant l’utilisation des bulles, il cherche à réinventer le langage de la bande dessinée. Si la recette a l’inconvénient d’accentuer les défauts de son écriture (récitatifs gorgés de métaphores pesantes et dialogues souvent insistants), il faut reconnaître qu’elle induit un rythme de lecture hypnotique et contemplatif qui sert bien les thèmes du livre.
Matthias Schultheiss porte cette histoire en lui depuis plus de trente ans. S’il a mis aussi longtemps à la transcrire, c’est vraisemblablement qu’il lui aura fallu attendre d’être dans un état d’apaisement adéquat. À l’image de son personnage qui cherche à se purifier des crimes de son passé, Schultheiss a peut-être, en se détournant un temps des récits de violence, retrouvé le goût de la bande dessinée.
Vlad Bapoum