Cet album est le premier d’un diptyque étonnant où le dessinateur-scénariste David B. fait du narrateur un double de lui-même vivant des aventures particulièrement étranges, en parcourant Paris à la recherche des traces d’une revue intitulée Les incidents de la nuit et de son auteur.
Les deux pages de la postface en disent long sur la genèse de l’album, puisque David B. indique par exemple qu’il a fait le rêve qu’il met en scène à la première planche. Dans ce rêve, Les incidents de la nuit seraient une série (il tombe sur les tomes 2-3 et… 112) de recueils d’histoires fantastiques basées sur des faits divers des XIXe et XXe siècles. D’où lui vient cette idée ? Il cherche à la savoir en explorant les librairies qu’il fréquente régulièrement. Chez Lhôm, avenue Jean Jaurès, le bouquiniste (lunettes avec verres en cul de bouteilles) qui lève le nez de L’empire des steppes de René Grousset, lui répond « Haaa… J’en ai entendu parler. Il faut chercher… Ça doit être quelque part. Il vous faut un guide ? Des cartes ? » On comprend vite le pourquoi de la proposition, car c’est une véritable exploration dans des monceaux de bouquins que le narrateur entreprend, mise en images à peine exagérée et très amusante de ce que peut devenir l’antre d’un amateur de livres. Cela permet au passage de glisser de nombreuses références, en particulier à l’univers du fantastique dans lequel l’auteur nous propose une étonnante plongée.
Foisonnement des rencontres
A partir de là, David B. nous entraine dans une histoire où les péripéties s’enchainent en mêlant un fantastique échevelé à des aventures rocambolesques. Il y est question de Napoléon 1er (voir le gros N sur l’illustration de couverture) et d’un de ses fidèles, Émile Travers qui serait le fondateur de la revue avec des objectifs avoués mais d’autres occultes. Il y est question de l’étrange mort d’Émile Travers et de ses conséquences. Le rôle des livres s’avère fondamental. Autre point fondamental, les rencontres, notamment celles que le narrateur fait, au hasard de ses pérégrinations. Mais, peut-on vraiment parler de hasard ? D’ailleurs, la lettre N déjà évoquée joue un rôle fondamental dans l’histoire. Une histoire que le dessinateur met en scène de manière très inspirée. Il s’avère très à l’aise pour utiliser le medium BD, aussi bien dans sa narration qui mêle habilement la soi-disant réalité avec du fantastique et de l’onirisme, que dans son dessin et sa mise en scène qui s’avère aussi délirante que l’histoire.
Foisonnement des thèmes
Et puis bien-sûr, on l’a compris, le narrateur est un lecteur insatiable qui cherche avec obstination le moyen de lire autant de livres que possible, sachant qu’il en découvre une multitude qui peuvent l’intéresser. Cela ne l’empêche pas de penser à l’amour, car parmi ses rencontres, on trouve aussi des femmes. Au passage, on observe que cet album est foisonnant quant aux thèmes qu’il aborde, puisqu’il y est question des débuts de l’humanité et des diverses croyances de l’homme aux cours des âges, par un récit que monsieur Lhôm (un nom qui ne doit évidement rien au hasard) fait au narrateur.
Une folie bien orchestrée
Tout cela est dessiné par David B. dans un noir et blanc de qualité. Le style de dessin est soigné tout en mettant bien en valeur la folie qui émane des personnages et des situations, avec des personnages tous très expressifs et bien différenciés, que ce soit par leurs physiques ou par leurs visages. Émergent particulièrement les libraires, monsieur Lhôm et un autre dont le narrateur ne connaît pas le nom, qu’il tutoie et qu’il désigne par l’expression « Le libraire qui pue ». Bien que dur en affaires, celui-ci se montre étonnamment généreux. N’oublions pas le commissaire Hunborgne qui est effectivement borgne et affiche un physique impressionnant, avec un visage à faire peur.
Lectures multiples
Voici donc une BD qui part dans tous les sens pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. Pour en revenir à la postface, elle s’avère aussi intéressante qu’instructive. On comprend que Les incidents de la nuit ne sont pas que ceux racontés dans la soi-disant revue, mais ceux qui se présentent au narrateur, David B. adorant visiblement les mises en abyme. Il va jusqu’à avouer ne faire dans cet album qu’une mise en scène de ce qu’il a vécu dans le quartier du Marais à Paris, qu’il dit avoir exploré en long et en large (et en… travers). Bien entendu, il y a exploré les librairies, modifiant ses habitudes au gré des fermetures et ouvertures de celles qui l’intéressaient. Il a aussi été à l’affut de tous les signes qu’on peut trouver dans le quartier. Enfin, il reconnaît de nombreuses influences, notamment littéraires. Il révèle que Les Incidents de la nuit doivent beaucoup à Rue des maléfices un roman de Jacques Yonnet qu’il donne envie de chercher toutes affaires cessantes, en bon lecteur capable de transmettre ses coups de cœur.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné