Les Pizzlys
7.7
Les Pizzlys

Roman graphique de Jérémie Moreau (2022)

Non, le pizzly qui donne son nom au dernier livre de Jérémie Moreau n’est pas le concept marketing d’une enseigne tendance dans les quartiers chics de Paname. Avec la fonte des glaces, les ours polaire et les grizzlys partagent désormais le même milieu de vie. Le pizzly est donc le fruit d’un métissage qui n’aurait jamais eu lieu sans le dérèglement climatique. Depuis Paris où il mène un train de vie infernal de chauffeur Uber, Nathan ignore tout de ces transformations en cours à l’autre bout de la planète. Celle qu’il vit est, à sa manière, tout aussi brutale : incapable de se repérer sans son GPS, il ressent un grand vertige et envoie dans le décor sa BMW à crédit. Quitte à tout perdre, Nathan décide d’emmener ses deux jeunes frère et sœur au fin fond de de l’Alaska afin de renouer avec une nature qui a elle aussi perdu sa boussole. Les oies partent avec des mois d’avance, les inondations engloutissent les forêts quand les méga-feux ne les réduisent pas en cendres. Au milieu d’un tel marasme, la vieille amérindienne Annie aide ces trois citadins accros aux écrans à se réadapter au rythme des saisons et de la chasse au caribou.

Deux ans après son grand entretien dans Les Cahiers de la BD à l’occasion de la sortie du Discours de la Panthère (éd. 2024), Jérémie Moreau nous revient avec un nouvel album chez Delcourt. Bien qu’il ai renoué avec son éditeur de toujours, il n’a pas renié la transformation de son style inspiré par le milieu alternatif du spin-off d’Angoulême friand de risographie. Le dessinateur reprend le grain si particulier de cette technique et ses couleurs fluos, n’hésitant pas à composer des cases lorgnant vers l’abstraction. Tous ces artifices l’amènent paradoxalement à représenter avec toujours plus de sensibilité la nature qu’il célébrait déjà dans ses précédents albums Grimr et Penss. Dans ce dernier opus, il prolonge aussi sa réflexion écologique avec une hypothèse optimiste inspirée par le philosophe Baptiste Morizot. Plutôt que de voir dans les ravages de l’anthropocène les prémices de la fin du monde, il invite le lecteur à rompre avec le nihilisme ambiant pour redonner une place aux mythes animistes et à l’espoir d’une harmonie possible avec la nature.

On a aimé : Plus que jamais, Jérémie Moreau fait la part belle aux séquences muettes et aux grandes images s’étendant sur une page entière, parfois deux. Ces nombreux moments de respiration lui permettent de multiplier les expérimentations graphiques, tout en déployant les paysages monumentaux d’Alaska.

On a moins aimé : Tout le récit repose sur un postulat qui laisse quelque peu incrédule : comment trois frères et sœurs habitant un appartement parisien peuvent-ils décider de tout plaquer du jour au lendemain pour habiter au fin fond de l’Alaska avec une vieille dame dont ils ne savent rien ?


Les Pizzlys

Jérémie Moreau

Delcourt

200 pages

29,95 €


[Cette critique devait initialement paraître dans le numéro 21 des Cahiers de la BD. Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, je la publie ici].

Marius_Jouanny
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Journal d'un bédéphile : année 2022

Créée

le 5 janv. 2023

Critique lue 124 fois

2 j'aime

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 124 fois

2

D'autres avis sur Les Pizzlys

Les Pizzlys
lhomme-grenouille
4

Perdus sous la couverture

Voici clairement une bande-dessinée que j’ai lue parce que la couverture m’a interpellé. Ça pourra peut-être paraître bête à certaines ou à certains de ne construire sa curiosité que sur une seule...

le 10 mars 2023

7 j'aime

Les Pizzlys
louiscanard
8

La pizza, quel délys

Les plus rationnels d'entre nous resteront perplexes devant le scénario de Jérémy Moreau, en particulier devant ce départ sur un coup de tête de Nathan, Zoé et Etienne pour l'Alaska à la remorque...

le 2 févr. 2023

3 j'aime

Les Pizzlys
Marius_Jouanny
7

Critique de Les Pizzlys par Marius Jouanny

Non, le pizzly qui donne son nom au dernier livre de Jérémie Moreau n’est pas le concept marketing d’une enseigne tendance dans les quartiers chics de Paname. Avec la fonte des glaces, les ours...

le 5 janv. 2023

2 j'aime

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 4 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

43 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

37 j'aime

4