Un travesti à la cour (!)

Après un diptyque sur une femme forte et sanguinaire, la fameuse Milady de Winter, personnage du roman « Les Trois Mousquetaires », Agnès Maupré s’intéresse à une autre forte personnalité. Cette fois-ci historique, ayant vécue un siècle plus tard, il s’agit du Chevalier d’Eon, dans une nouvelle série dont le premier segment est paru en janvier 2014. Et si Milady de Winter avait un physique ensorcelant pour mieux duper autrui, ce chevalier profitait lui aussi de ses apparences pour tromper son monde… en se déguisant en femme.

Scénario : Sous le règne de Louis XV, ce Chevalier d’Eon se retrouve au service du roi, très intrigué par les multiples talents du jeune homme, en infiltrant la cour de Russie. Ayant pour mission de renouer les liens diplomatiques rompus avec La France depuis une quinzaine d’années, il côtoie roi de France et reine de Russie de manière plutôt étroite. Alors qu’aujourd’hui, la moindre coucherie d’hommes politiques est un scandale, parfois à juste titre, on était plus laxiste sur les histoires de fesses, au XVIIème siècle. Elles pouvaient même déterminer la bonne entente ou la guerre entre deux Etats. Rien que ça.

Dessin : Une épure plutôt intéressante, bien qu’encore loin d’être maîtrisée. Alors que la monochromie en gris de « Milady de Winter » avait pour mérite d’être efficace, les vives couleurs de cette nouvelle série traduisent parfaitement l’atmosphère des cours royales, et notamment celle de Versailles. Agnès Maupré soigne aussi les plis des vêtements ainsi que les costumes d'époque, mais il règne tout de même une approximation dans certains décors, certaines postures et parfois même certains visages.

Pour : Le principal atout de ce premier tome est de mettre en scène des personnages historiques forts dans des situations pour le moins cocasses, et qu’on imagine pourtant véridique la plupart du temps. Entre Madame de Pompadour soucieuse de rester dans l’estime du roi tout en étant insultée par les propres filles de ce dernier, ou la reine de Russie déçue par un sexe boudeur, sans compter le chevalier d’Eon lui-même, tout cela est bien réjouissant. Tout en permettant d’avoir un point de vue original sur ces figures historiques, et de renouveler sans cesse l’intérêt du récit.

Contre : Les approximations ne sont malheureusement pas seulement graphiques : on décèle notamment une facilité d’écriture : lorsque le chevalier se rend en Russie, aucun problème de langage. Même lorsqu’il fait la lecture de « L’Esprit des Lois » en bon français à la reine de Russie, cela ne pose aucun problème. Ce genre de raccourci reste très répandu en BD comme ailleurs, mais cela ne justifie en rien le parti-pris.

Pour conclure : Souvent captivant, ce premier tome du « Chevalier d’Eon » a l’ambition de nous faire découvrir et apprécier un personnage plutôt méconnu de l’Histoire, qui fait presque figure d’anachronisme tellement se travestir devait être singulier à l’époque. On craint pour lui une fin tragique, qui rend d’autant plus attendue la suite de cette série.