«Aaaaaaaah !» Se gargariseront goulûment certains à la simple référence portée par le titre de la critique.


«Aaaaaah….» Gémiront gênés ceux qui, quant à eux, savent tout le bien que je pense de ladite référence.


Il est vrai que, d’instinct, la jonction entre les deux œuvres ne s’accomplit pas aussi aisément qu’il y paraît. Les tons, l’univers, les protagonistes, ils sont dissemblables en tout point. À supposer qu’inspiration il y ait eue de l’Attaque des Titans vers Made in Abyss, celle-ci serait trop diffuse pour que, seulement, l’on puisse établir des parallèles incontestables.


Eh bien quoi alors ? Je me serais donc risqué à cette comparaison sans qu’il n’y ait rien à comparer ? Pour le plaisir d’appâter le chaland avec un titre aguicheur, comme un vulgaire youtubeur ? Ça pourrait. Mais il y a autre chose. Un sentiment qui s’est emparé de moi à la lecture ; une sensation planante qui, à force de me serrer le cœur et les tripes, aura éveillé en moi quelques traumatismes du passé. Parenté il y avait entre Made in Abyss et L’Attaque des Titans, et la lignée se sera accomplie sous l’égide ce qu’il se fait de plus abject.


Made in Abyss, comme L’Attaque des Titans, émule un même phénomène advenu il y a presque dix ans de cela. Ce phénomène, c’est celui d’un anime bien léché qui, par ses artifices, aura conquis quelques spectateurs avachis et patauds. C’est l’animation qui a fait la réclame pour le manga, et non pas le manga qui, de par la seule puissance de son caractère, nous sera parvenu suite à l’engouement de ses lecteurs. Made in Abyss n’a véritablement existé par-delà le Japon que parce que quelques animateurs se seront penchés sur son cas. Exception faite de ces bonnes fées venues se pencher sur son berceau, Made in Abyss aurait sans doute connu une fin prématurée. Il s’en trouve pour contester cette version des faits ? Qu’on m’explique dans ce cas ce graphique relatif aux recherches mondiales effectuées à l’endroit de Made in Abyss sur Google. Car c’est une singulière incidence que de voir une courbe affalée de tout son long sur l’axe des abscisses prendre son envol aux alentours de 2017, date de sortie de la série animée. Rappelons que le manga date de 2012 et que personne en nos contrées n’en a jamais entendu parler avant que l’animation ne soit de circonstance. La chose ne date ni d’hier, ni d’il y a dix ans. Car en toute honnêteté… pensez-vous que Saint Seiya vous soit resté en mémoire s’il ne s’était pas trouvé une série animée pour laver tout ce que le manga avait de carences ? Allons.


Avec un univers bien à lui, Akihito Atsushi construit un monde aux accents post-industriels entouré d’un horizon lointain et inconnu. Comme pour l’Attaque des Titans en somme, mais sans que le parallèle ne soit non plus saisissant. Parenté il y a néanmoins, je le sais, je le sens. Les emprunts sont subtils et remaniés comme il se doit, mais ils sont bien là.


Akihito Atsushi dont je croyais qu’il était une femme par ailleurs. D’où ma surprise lorsque je découvris un gros barbu. Mais peut-être était-il gros parce qu’il était enceint sur la photo. Pourquoi j’attendais de lui des courbes plus féminines ? Car le dessin et l’ambiance de son œuvre sont typiquement féminin. Cela va au-delà de l’esthétique ; on fraye ici dans le sirupeux au point de ressortir de la lecture avec les doigts collants. Ces petits enfants innocents jusqu’aux plus infinies extrémités qui nous gratifient à chaque planches de leurs grands yeux clairs étalés sur une bouille bien ronde, il y en a qui trouvent ça charmant ; pas moi. C’est horripilant au possible et il ne faut pas longtemps avant que toutes ces afféteries ne nous paraissent forcées. Et pour cause : elles le sont à outrance.


J’ai cependant vite compris que je n’avais pas affaire à une femme en guise d’auteur lorsque je vis une petite fille dénudée en position de bondage dessinée ainsi dans le cadre d’un gag. Soudain, je côté « gros barbu » inhérent à l’auteur m’apparaissait comme une évidence. Et pas une qui fut susceptible de me plaire. Qu’on pardonne ma fermeture d’esprit relative aux choses du BDSM infantile ; je n’ai pas les codes culturels pour apprécier ça à sa juste valeur.


Qu’en est-il du dessin exactement ? Il y a ce côté parfois brouillon assumé dans les planches, pour donner des teintes une peu plus brutes et sombres, le tout, recouvrant des personnages envisagés pour être mignons, quitte à ce que leur visage n’ait aucun caractère et soit brossé en deux coups de crayon. Ils ne sont pas nécessairement mauvais ces dessins – d’autant qu’ils sont particulièrement aboutis et détaillés dans les derniers chapitres en date – mais il n’ont franchement rien de spectaculaire. Ils ne sont en tout cas pas très difficiles à oublier. De ce constat, on en déduit qu’une certaine marge a été laissée aux animateurs pour que ceux-ci, de par leur talent, magnifient l’œuvre de base au point même de l’effacer derrière leur création. Car de Made in Abyss, ses thuriféraires n’en retiendront décidément que la version animée.


Ce Seinen, qui n’est finalement qu’un Shônen qui s’ignore, coche toutes les cases à ne pas remplir. Une personnage principal « fille de », un protagoniste avec un pouvoir surpuissant pour se sortir de toutes les situations supposées inextricables, des personnages secondaires en tapisserie, un univers finalement plus cosmétique que savamment construit, une quête qui justifie qu’on s’enfonce dans les abysses…. en oubliant le propos de la quête pour se perdre dans une multitude de scenarios annexes.


Pour moi, la lecture fut aisée à ses débuts en faisant fi des banalités d’usage et autres mièvreries ronflantes, mais il faut se dire que les lecteurs assidus des premières heures auront dû attendre plus d’un an de publication avant que le duo ne parte à l’aventure. D’ici à ce que cela n’advienne, nous aurons droit à beaucoup d’explications sur le fonctionnement d’une descente dans les abysses… dont aucune des prescriptions ne seront respectées. À quoi bon, quand Reg a précisément été conçu pour être un couteau suisse à même de palier à toutes les adversités rencontrées sur son chemin.


Pour ceux qui auraient cru voir en Made in Abyss une œuvre nouvelle, je remarque quant à moi que ce souffle frais a des relents putrides plein l’haleine. Ozen fut vraiment le personnage qui acheva de me convaincre que j’avais affaire à un manga sans imagination mais qui, toutefois, savait mimer une illusion d’imaginaire. Avec un personnage aussi mal branlé du point de vue de l’écriture, on ne peut plus se défausser de l’inanité des personnages principaux en lâchant un désinvolte « mais c’est normal, c’est des gosses ». Il n’y a pas un personnage qui soit bien écrit. Quant au cadre du récit, il a pour lui l’apparence de l’onirisme et de la fantaisie ; mais grattez du bout de l’ongle et vous verrez que tout cela est en carton pâte. La faune n’est qu’une succession de bestioles dont les contours sont irréels mais dont ce qui les constitue est simplement de nature sauvage et agressive. Un hollow est moins creux qu’ils ne le sont. La flore cherche aussi à épater, à être excentrique, hors de ce monde… pour ne finalement que meubler le paysage comme le ferait une plante verte. Et les machines… des automates dont la seule originalité – très relative – se rapporte à leur seule composition graphique. L’univers, je maintiens, est ici strictement cosmétique.


Le récit, quand il ne stagne pas, s’enfonce. Si Reg ne parvient pas à bout d’un élément litigieux, il se trouvera toujours une aide quelconque abandonnée négligemment au lecteur par le scénario comme on lancerait un os à son chien. Riko s’est faite arracher un bras ? Il ne se passe pas deux pages avant que Nanachi ne les sauve.


Il paraît que Made in Abyss relève de la Dark Fantasy, cela au prétexte qu’il y aurait des passages supposés difficiles. Un bras coupé, une petite fille déformée par les symptômes des abysses qu’il faudrait tuer. Ça cherche à être dérangeant pour la seule finalité de donner le change et de prétendre être autre chose qu’une petite balade bucolique pétrie de mignardises. Ça essaye, mais si mal que c’en est gênant. Les actes qui s’accomplissent en ces planches ne donnent jamais lieu à la moindre conséquence. Et ça n’est pourtant pas faute de nous dire que tout peut tuer les protagonistes à chaque étage que ceux-ci descendent. Rien ne les atteint. Voudrait-on s’inquiéter pour eux qu’une intrigue molletonnée est là pour les réceptionner à chaque chute. Comment s’inquiéter du sort de personnages dont on sait par avance qu’ils se sortiront de la moindre épreuve sans effort ? Déjà que l’inanité dont ils sont faits n’aide pas à éprouver la moindre empathie à leur égard, on en vient facilement à se foutre de ce qu’ils accomplissent, puisque tout ce qu’ils font, ils le font sans risque. Le récit est fléché sans subtilité et les protagonistes, de ce fait, se gardent bien de bifurquer d’un chemin tracé exprès pour eux.


L'histoire sait être erratique et meubler le vide, mais ça ne trompera que les yeux les plus mornes et apathiques. La morne mise en scène et un paneling sans caractère joue contre un récit qui, lui-même, se saborde sous les coups de sa prévisibilité et de son absolu manque de contenu original. Le manga s’accepte ainsi comme un vestige archéologique de 2012 ; rien qu’un caillou sans particularité aucune. Mais parce qu’un archéologue illustre - j'entends par là son adaptation animée - l’a extrait des sédiments rocheux sous lesquels il aurait dû rester, on se plaît à lui accorder une importance qu’il n’a pas. Si Made in Abyss n’est pas parvenu à même effleurer la postérité avant qu’un studio animé vienne à son secours, c’est qu’il y avait une raison à cela. Car si certaines œuvres sont injustement méconnues du public, il en est d’autres qui le sont à juste titre. Si cette création, du propre aveu que constitue son titre, fut faite dans les abysses, c’était encore pour qu’elle y reste et n'en ressurgisse jamais.


P.S : Ayant remarqué que cette critique avait attiré à elle plus de 2500 lecteurs en moins d'une semaine, j'en déduis qu'elle a été partagée sur un canal très fréquenté quelque part sur le net.

Je devine que la plupart de ces récents lecteurs venus en masse n'ont pas de compte SensCritique, mais s'il s'en trouvait un parmi eux pour en créer un vite-fait et me dire en commentaire où ma critique a été diffusée, je lui en serais reconnaissant et accepterais de critiquer le manga de son choix dans les plus brefs délais (dans la mesure de mes disponibilités, bien entendu). En vous remerciant par avance.

Josselin-B
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le 6 sept. 2023

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Josselin Bigaut

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