Pereira prétend
8.1
Pereira prétend

Roman graphique de Pierre-Henry Gomont (2016)

J’avais essayé de lire le Roman d’Antonio Tabucchi dont est adapté cette bande dessinée, mais, trop vite lassé par l’effet de style à répétition du « Pereira prétend », dit et redit ad nauseam, j’avais décroché, tant ce genre d’effet de style m’ennuie par le diamètre de sa ficelle.


Certains trouvent la répétition poétique et rassurante, elle m’agace.


Bref, le roman ne m’avait pas amené jusqu’à son premier tiers. Mais voilà, l’adaptation étant signé par Pierre-Henry Gomont, auteur du remarquable « Rouge Karma », enquête en asie d’une jeune femme enceinte à la recherche du père de son enfant.
Ce livre nous avait piqué le prix du polar SNCF, face au pourtant excellent « Quatre couleurs », et, franchement, c’était mérité, tant le dessin, l’ambiance colorée et la narration enlevait cette histoire qui relevait bien plus du polar que le roman graphique de Blaise Guinin (mais lisez le).


Bref, malgré mes prétentions contre le livre originel, j’avais tout de même bien envie de lire la dernière œuvre de Gomont. Et bien m’en a pris, car les qualités que j’avais découvertes dans le premier livre sont ici encore plus éclatantes.
L’histoire, tout d’abord, nous place dans le Portugal du milieu du XXeme sicèle, alors que montent les nationalismes de tout bord et que la guerre menace de toute part. Le Portugal, pays catholique traditionnaliste n’est encore engagé d’aucun côté officiellement, mais le gouvernement et les élites sont déjà évidemment du côté fachiste.


Dans ce cadre là, nous découvrons le docteur Pereira, docteur en littérature, responsable d’une chronique culturelle dans un journal « indépendant », gros homme veuf et sans passion autre que la traduction de textes français du XIXe qui, en recrutant un jeune pigiste pour rédiger des chroniques nécrologiques en avance va se retrouver confronté à la jeunesse contestataire et révolutionnaire.


Toute l’histoire racontera l’évolution d’un intellectuel plutôt conservateur, casanier et détaché vers un engagement politique dont on sent qu’il vient donner du sens à une vie qui en a perdu.


Voilà pour l’histoire, elle est bien, on la voit venir, mais ça fonctionne.


La vraie force de la bande dessinée est ailleurs, dans la narration graphique inventive, dans un trait enlevé et pourtant d’une grande lisibilité et, surtout surtout, dans une couleur magnifique, réalisé au numérique, mais d’une grande sensibilité, que le choix du papier magnifie, je trouve.


Quelle invention dans ces pages, comme ce livre aurait pu être chiant, enchaînant des dialogues sans fin, comme en réalité, chaque échange est l’occasion, pour le dessinateur, de réfléchir à un voyage graphique de l’œil du lecteur, dans un rythme de lecture pourtant indolent, mais jamais chiant.


On se sent pris dans la chaleur méditerranéenne, les monologues intérieurs de Pereira sont l’occasion de l’apparition de multiples silhouette monochromiques, une pour chacune de ses voix intérieures. Sa défunte fiancée lui parle depuis la photo de son cadre, qu’elle ne quittera pas, pleine d’amour et d’attention. La nature et les décors sont exhubérants, les personnages expressifs et l’ambiance à la fois lourde et légère d’une société qui s’amuse à la veille d’un conflit mondial est parfaitement rendu.


Des séquences entières de la bande dessinée mériteraient d’être détaillés et étudiés pour montrer toute l’intelligence de cette narration, mais ce travail d’horloger serait par trop fastidieux et pour moi et pour vous qui lisez cet article hagiographique.
Donc faisons court. Lisez ce livre, ne serait-ce que pour sa couleur étonnante, et pour ce voyage au Portugal que les connaisseurs retrouveront fidèle à chaque page.


Qu’il est fort ce Gomont.

CapitaineNemo
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Créée

le 2 avr. 2017

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CapitaineNemo

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