"Ne parle pas d'amour avec autant de légèreté!"

Sur SensCritique, on ne se tarit pas d'éloges pour Planètes, le premier manga à succès de Makoto Yukimura. Pourtant, s'il est rempli de bonnes idées, il n'est pas non plus exempt de nombreux défauts.

Le fil narratif de Planètes est donc Hachimaki, jeune astronaute récupérateur de débris ayant l'espoir fou d'obtenir un jour sa propre navette spatiale. Pour arriver à ses fins, il s'entraînera pour être sélectionné comme membre de l'équipage d'un vaisseau aux dimensions gigantesques dont la destination est Jupiter, prochaine étape de la conquête de l'espace.

Le principal point fort de la série de Yukimura est sa précision quasi didactique. Tout ce qui concerne la vie dans l'espace (nouvelles maladies, dangerosité des nombreux débris, entraînement, etc) est savamment éclairé par les différents chapitres tout en restant assez fluide ; du moins dans le premier tome. En effet, cette approche tend à se diluer par la suite, comme si, le lecteur ayant acquis certaines connaissances de bases, l'histoire pouvait désormais se passer de ces considérations techniques pour se concentrer sur d'autres thèmes, avec principalement le rapport de l'être humain avec l'univers et autres questionnements existentiels.

En ce sens, le parcours de Hachimaki prend la forme d'un véritable voyage initiatique. L'être humain doit-il rester terrien ou ne connaît-il aucune frontière? Comment vit-il sa petitesse face à l'immensité de l'univers? Quelle place peut-il encore donner à Dieu? Qu'est-ce qui représente le plus d'importance à ses yeux? La conquête au nom de l'espèce? Sa vie propre, au sein de sa famille?

Si tous ces questionnements sont relativement bien développés, c'est pourtant là que Planètes trébuche, car les protagonistes censés les porter le font globalement mal. C'est par exemple assez pénible de voir Hachimaki passer subitement de jeune homme sympathique quoiqu'un peu gauche à connard cynique et méprisant, presque misanthrope. Si encore il semblait intelligent, mais non, il est con, immature et antipathique. Certains dialogues sont incohérents, les réactions des personnages paraissant régulièrement injustifiées ou exagérées. On voit aussi fréquemment des répliques théâtrales qui prennent l'apparence de démonstrations et d'évidences qui ne tiennent pas debout (la traduction est peut-être en partie responsable de ce problème). Enfin et surtout, on tombe dans les habituels poncifs insipides sur l'amour, personnifiés par Tanabé, qui contaminera peu à peu Hachimaki (qui est à cet instant l'archétype de l'égoïste individualiste).

C'est quand même triste de voir une série qui met un point d'honneur sur le réalisme se foirer à ce point dans les relations sociales, avec des personnages aux comportements incompréhensibles ou clichés. Hachimaki l'égoïste, Tanabé l'altruiste, Fi la rebelle (surtout pénible vers la fin, où elle enchaîne les réflexions les plus minables d'adolescents à base de "Monde de merde", "Société pourrie"). Si le message passe, c'est cependant de manière assez gratuite, sans aucune subtilité. On pense notamment au groupe terroriste qui veut empêcher la conquête spatiale, et qui cessera d'un coup d'un seul ses activités quand leur chef assistera à une embrassade. Ne cherchez plus, on a la solution pour que cesse le terrorisme dans le monde... Passons enfin sur les scènes d'action assez puériles qui rythment parfois un récit censément sérieux (le père de Hachimaki, astronaute de 50 ans qui se bat avec une agilité à faire pâlir les plus grands pratiquants d'arts martiaux). Dissonance, quand tu nous tiens. Attention cependant, je ne fustige pas l'humour et les moments de légèreté, seulement il faut rester cohérent avec le ton général de l'œuvre.

En somme, malgré ses évidentes qualités, Planètes laisse une impression de potentiel gâché. Des questions pertinentes, amenées intelligemment par un background superbement détaillé et illustré, mais traitées maladroitement par les protagonistes de l'histoire. Au vu de l'engouement général, on pouvait s'attendre à mieux.
RaoulDeCambrai
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le 29 avr. 2014

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RaoulDeCambrai

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