Pline
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Pline

Manga de Mari Yamazaki et Miki Tori (2013)

Voulu comme très immersif, les termes latins pleuvent en cascade. Cela, pour qu’on s’en imprègne, qu’on retrouve enfin la route de Rome dont un chemin, enfin désencombré de la triste modernité, nous y conduit de nouveau.

Ainsi, par facilité, pensais-je pouvoir comparer l’œuvre à à Thermae Romae ne serait-ce qu’au regard de la thématique, puis du dessin. Du dessin ? C’est vrai qu’il me le rappelle, là aussi et… et c’est encore signé Mari Yamazaki. Cette fois, l’intrigue virant à la biographie pour aboutir à une œuvre autrement plus académique dans ce qu’elle nous fait parvenir ; pour mon plus grand plaisir.


Pline l'Ancien, elle ne l’a pas chroniqué, mais elle l’a tout simplement fait revivre. Sa personnalité, son enthousiasme et sa curiosité à dévoiler les mystères du monde d’alors en font un personnage à part entière qu’on se plaît à suivre nonobstant sa glorieuse postérité.


Madame Yamazaki n’attendra pas la moitié de son premier chapitre avant de nous replonger dans les thermes, hommage bienvenu à ses ouvrages ne tombant pas gratuitement, car présentés à la faveur de l’éruption du Vésuve. Oui, déjà. Car s’il s’agit effectivement d’une biographie de Pline l’Ancien, celle-ci s’entame au dernier chapitre, au crépuscule de la vie de son sujet, pour finalement opérer un retour sur ses plus jeunes années.


Comme cela est espéré, car on sait Mari Yamazaki laborieuse et diligente dans ses œuvres, et sans qu’on ait osé en douter, Pline sera superbement documenté. Le moindre petit détail de la vie des Romains d’alors, ainsi que les mœurs et caractères des provinciaux, nous parviendra comme un juste agrément pour ne plus finir de nous happer dans ces temps glorieux. Des temps jamais trop idéalisés par son auteur dont on n’ignore rien de son amour pour l’Italie et ses ébauches antiques. Pline, le manga, n’en finit plus s’étaler l’érudition de son auteur, sans que celle-ci, jamais, ne nous apparaisse pour pédante, dispensant ses enseignement de la manière la plus appropriée qui soit.


La biographie, arrangée avec son lot de saines libertés, un peu à la mesure d’un Historie, est autant celle de Pline que de son scribe, Eucles, à qui Mari Yamazaki doit sans doute tant de ses informations sur l’époque.

Les savoirs dispensés, s’ils sont précieux, sont parfois portés à nous par bourrasques entières si bien que l’on sature d’un trop-plein de connaissances. L’œuvre souffre d’être parfois trop académique, en sachant toutefois s’accommoder d’une intrigue globale impliquant, naturellement, l’auguste César que fut Néron.


J’apprécie que l’auteur n’ait pas fait de cet empereur une caricature trop souvent rapportée dans les chroniques contemporaines. Tant de fantasmes ont été fondés à son sujet sans qu’en réalité, la moindre preuve tangible ne subsista. Néron, comme Caligula avant lui, souffrit d’avoir été honni par les érudits sénatoriaux de son temps, Tacite et Suétone, ceux-là se chargeant bien de son cas dès lors où ils furent les seuls maîtres de l’historiographie officielle, sans pourtant avoir été contemporains de son règne. Le personnage qui nous parvient est plus nuancé que la légende qu’on fit de lui, bien que présenté comme une indéniable figure d’antagoniste malicieux et léger, ce qui est à déplorer, quoi qu’à moitié seulement.


Disons-le clairement, je suis acquis à cet Empereur et souffre de concert avec lui quand il s’éprouve à la secte scolaire et autres affairistes du Sénat, présentés ici avec trop de bienveillance pour que je ne repère par la partialité de la narration. L’impertinence de Pline lui eut mérité de mourir mille morts.


L’arc du retour à Rome est assez prenant et tempère les prodigalités savantes au profit d’une intrigue sympathique, quoi qu’exaspérante, de faire passer Néron pour ce bipolaire sadique lâche et aigri. L’eut-il été, aigri, qu’il eut de bonnes raisons de l’être pour avoir eu dans son aréopage de si prétentieux larrons.


On le saura grâce aux textes en fins de tome, Mari Yamazaki et Miki Tori, parce qu’ils souhaitaient collaborer pour Pline, se sont refusés au concours du moindre assistant. Tout le travail abattu pour les paysages et surtout, l’élaboration de Rome sur les planches, sans compter la Campanie et le reste, n’en apparaît dès lors que plus titanesque et méritoire.


L’aventure qui suit, débarrassée du surplus savant, progresse plaisamment au milieu des événements qui, plus de quinze années auparavant, présageaient l’éruption du Vésuve. La première ruine de Pompéi et ses signes annonciateurs étaient remarquablement bien décrits.


Je l’ai remarqué tardivement, mais les dessins et le rythme de l’intrigue m’auront rappelé Cesare  ; j’avais l’impression de lire une œuvre inscrite dans la droite lignée de ce qui était écrit ailleurs. L’œuvre prend en tout cas son temps pour établir tous les plus grands événements du siècle, qui, du Vésuve à l’incendie de Rome, connaîtront l’avènement du christianisme et les ébauches de sa répression.


Curieuse et dispensable incursion que celle de cet enfant Phénicien qui sait tout et parle aux animaux. D’un coup d’un seul, Pline est devenu un manga pour enfants aurait on dit.

Aussi espérais-je qu’on nous épargnerait une histoire de complot derrière l’incendie de Rome, tout ça pour trouver les basses manigances de Tigellin. Le plan se tient, sur le papier, et offre une autre approche que ce qu’a pu en retenir l’historiographie officielle. Il n’empêche qu’on ne peut pas s’empêcher de trouver son plan décevant, anticipant jusqu’à la répression des chrétiens pour trouver un bouc-émissaire. Tout cela est trop facile.


Passé le tome 5, substance et contenance viennent à manquer, le récit semble être traité avec plus de légèreté et moins d’allant. Pline va en Afrique parce que, l’enfant Phénicien survient, puis le complot de l’incendie avec, au centre, un Néron sans cesse plus ridicule des parodies que l’Histoire a pu tirer de lui, le coup du culte secret de Sobek avec une sortie à la Tintin... Ça s’affaisse. Lentement, sans bruit, mais le soufflé retombe.

Ainsi, Pline et compagnie vivotent sans trop qu’on sache où ils se rendent ou bien pour quelle raison. L’intérêt qu’on a à les suivre s’évanouit peu à peu.


La palme revient à l’attaque du robot mécanique minotaure en bronze ; on sent que les auteurs, en panne d’inspiration flagrante depuis quatre tomes au moins, ont choisi de se laisser dériver à leur guise. On pouvait à la rigueur supporter le surnaturel très larvé qui eut cours jusqu’à présent en quelques rares évocations, mais c’est déconner dans de sacrées largeurs que de se fourvoyer sur ce chemin-là.


Plus les chapitres défilent, et plus Néron sera présenté comme débile, à mesure que Tigellin grandira dans son rôle d’antagoniste majeur, à intriguer comme un grand vizir dont la sournoiserie se voit à cent bornes au moins.


En parallèle, Pline va jusqu’à faire la causette aux bouddhistes. Pourquoi pas après tout, quitte à divaguer et se perdre, autant en retirer quelque chose d’amusant. Il ne sera cependant pas allé jusqu’au Japon à force de poursuivre son errance. Deux tomes de plus, et il s’y rendait. Les personnages deviennent tous de plus en plus manichéens et caricaturaux.


L’enfant, à présent en parfaite communion avec la nature – oui, il vaque tranquillou avec les ours et les loups sauvages – devient basiquement Pline le jeune et, tout l’inintérêt qu’on pouvait éprouver pour l’œuvre ne s’illumine alors que de plus belle. Pour cinq tomes de temps, Pline est un manga qu’on prendrait presque pour Historie, à la différence notoire qu’il ne va nulle part et parsème son séjour d’approximations et de ridicules. Les personnages, quant à eux, s’érodent et s’émoussent l’âme, à trop subir le récit dont ils ne sont plus que les instruments usés. Même pour ses vertus biographiques, Pline ne présente plus le moindre attrait à dériver comme il le fait sur le fil d’une narration assoupie. Quand le périple fut entrepris par ses auteurs, la destination et les escales ne furent envisagées que jusqu’à mi-chemin peut-être, laissant le reste du voyage à l’avenant. Belle rature.

Josselin-B
6
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il y a 6 jours

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Josselin Bigaut

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