Ragemoor
7.5
Ragemoor

Comics de Jan Strnad et Richard Corben (2012)

Ragemoor est une histoire horrifique, certes, avec des êtres humains qui deviennent fous et de moins en moins humains. Mais c’est surtout très drôle. Le grandiose est ici, comme souvent avec ces auteurs, parfaitement accoquiné avec le grotesque. Le personnage principal est d’une naïveté et d’une stupidité confondantes, mais largement excusable par son éternel isolement. Tel Perceval le Gallois, Herbert ne connait rien du monde extérieur et voit dans une prostituée matoise une gente dame aux nobles sentiments… mais le personnage de Ragemoor ne possède par contre aucune des qualités offensives propres au chevalier, et ses efforts héroïques s’avèrent délétères. Le personnage du domestique, le « fidèle Bodrick », bien plus entreprenant et efficace, est un régal.

En lisant Ragemoor, « une histoire à la Poe, à la Lovecraft » selon le souhait du dessinateur, on a effectivement l’impression d’avancer en terrain connu, d’écouter une variation sur une histoire connue depuis des temps ancestraux et brumeux, ce qui ravira les amateurs du genre et du maître. Ce récit aurait pu être fait tel quel dans les années 70, à ceci près – mais peut-être cette impression est-elle due au fait que je n’ai pas relu de vieux Corben depuis quelques années – que le caractère auto-parodique m’a paru plus appuyé.

Techniquement, tel que le faisait remarquer Frédéric Poincelet dans le Kaboom n°3[1], Corben vient partiellement recouvrir son trait noir d’un voile gris informatique cherchant à modeler la surface. Ce procédé est très étrange et froisse un peu l’œil. À mon sens, loin de créer de la profondeur, il créé surtout un trouble irréalisant. En effet, le masque gris transparent semble appliqué à la truelle, débordant çà et là, n’englobant pas l’entièreté d’un trait et ne répond en apparence à aucune logique… Est-ce un calcul ? de la négligence ? Je ne saurais répondre.

En tous cas, voilà une histoire agréable à lire si l’on aime les trucs dégueux, et très bien imprimée. Peut-être trop bien imprimée : les noirs bien noirs et le papier glacé font ressortir les bizarreries esthétiques sus-mentionnées. Le livre est agréablement maquetté, agrémenté d’une préface de François Truchaud, qui signe la traduction, et d’un court entretien avec les auteurs par Roger Ash. Notons également la présence des quatre illustrations couleurs pleine page faites pour les couvertures des fascicules originaux étatsuniens et quelques planches de croquis et de recherches graphiques.


[1] Richard Corben, un dessin monde, dans Kaboom n°3, 2B2M, novembre 2013, 6,95 €. Il est à ce propos amusant de noter les différences entre la réponse que fait Corben à Poincelet et celle qu’il fait à Ash dans l’entretien à la fin de l’album, sur la question du choix du noir et blanc pour cette histoire.
aaapoumbapoum
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le 14 mars 2014

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aaapoumbapoum

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