Il y a un gros changement visible d'entrée de jeu dans ce tome 3 de Star Wars : Jedi, intitulé Rite de Passage : le coloriste n'est plus le même, Dave McCaig ayant laissé sa place à Brad Anderson, dont l'usage du numérique est particulièrement visible dans la lame du sabre laser de Quinlan Vos, plus flashy et réaliste que jamais. Mais est-ce bien Quinlan Vos, ce gamin aux prises avec un Wampa, une gamine Twi'lek sur l'épaule ? Bien évidemment que oui, et le lecteur comprend très vite qu'il s'agit de la première rencontre entre le jedi kiffar et sa future apprentie Aayla Secura. Il ne s'agit que d'un simple flashback de quelques planches, mais c'est une excellente façon de démarrer l'album car il en dit long sur la relation entre ses deux personnages principaux. Au passage, on notera avec une cruelle ironie que Quinlan et son maître Tholme viennent rendre service au futur adversaire du premier, Pol Secura…


Retour dans le présent, mais toujours sur Ryloth : plusieurs années se sont passées depuis les événements de Ténèbres, et Aayla Secura est devenue une belle jeune femme, dont les atours lui servent à passer pour une simple esclave et espionner une conversation entre notre vieille connaissance Villie et Ro Fenn, un énième Twi'lek obèse déterminé à renverser la famille rivale, les Secura justement, à présent représentés par le seul oncle survivant d'Aayla, Lon. Villie fait office d'intermédiaire, son vaisseau l'Inferno devant transporter Nat Secura, fils unique de Lon, hors de la planète. Ro Fenn espère que son grand rival abdiquera en sa faveur pour sauver la vie de son héritier. C'est Game of Thrones dans l'espace, dites-moi !


Aayla avertit son nouveau maître, Tholme, lui aussi sur place, mais il est trop tard : le petit Nat a déjà été enlevé par deux guerriers Morgukaï : Tsyr et son fils Bok. Les Morgukaï sont une caste de guerriers niktos en voie d'extinction, véritables ninjas de l'univers SW. Ils ne possèdent pas d'affinité avec la Force, mais leur discipline physique et mentale en fait des adversaires d'autant plus dangereux qu'affronter – et tuer – un jedi est pour eux l'épreuve ultime, le fameux "rite de passage". Tsyr et Bok ne tardent d'ailleurs pas à montrer de quoi ils sont capables en capturant Tholme à son tour et en massacrant une escouade entière de gardes twi'leks. "Hraï, têtes de ver pas jeedaï ! Cibles trop faciles pour Morgukaï!" commente le patriarche nikto dans sa verve colorée. Thierry Rolland n'aurait pas dit mieux.


Pour sauver son maître et son cousin, Aayla part à la recherche de son autre maître, Quinlan Vos. Ensemble, ils auront une chance de défaire les deux guerriers. Nous avions quitté le beau brun en pleine remise en question philosophique, nous le retrouvons en train de bastonner toute une armée de mercenaires sur Ord Mantell ! C'est un Quinlan Vos beaucoup plus serein et surtout sarcastique que retrouve son ex-apprentie, mais pas encore totalement en paix avec lui-même. Les dialogues sont particulièrement bons dans cet album, surtout entre ces deux personnages ; chaque fois que je le lis, je ne peux m'empêcher de repenser à la réplique de Jango Fett dans L'Attaque des Clones: "je suis un simple mortel qui essaie de trouver son chemin dans l'Univers."


En parlant de l'Épisode II, il convient d'ailleurs de souligner que le nouveau film de la prélogie de George Lucas venait entretemps de sortir… ce que vient démontrer la présence du Comte Dooku. En effet, c'est lui qui tire les ficelles derrière l'incapable Ro Fenn et son fils beaucoup plus capable et énergique, Kh'aris. Sur le papier, cette connexion avec le plan machiavélique du personnage joué par Sir Christopher Lee semble tout aussi alléchante que celle avec son maître Dark Sidious dans Mémoire Obscure, mais dans les faits il s'agit d'un pétard mouillé. Toutes les scènes de complot et de politique sur Ryloth n'ont pas grand intérêt, ce qui n'est pas tant la faute de cet album que de leur conclusion dans le tome 6 de Clone Wars – j'y reviendrai en temps voulu. Nous avons cependant droit à un joli échange entre Tholme et Nat Secura, qui en dit long sur l'humanité du vieux jedi derrière sa façade froide et imperturbable.


Beaucoup plus intéressant : la confrontation entre Quinlan/Aayla et Tsyr/Bok, qui est le véritable cœur du récit. Tout d'abord, les deux jedi parviennent à localiser les otages grâce à Villie, roi du double-jeu, à l'issue d'une séquence proprement hilarante dans laquelle Vos, tel Qui-Gon Jinn dans l'Épisode I, n'hésite pas à tricher pour parvenir à ses fins, ce qui n'est pas sans choquer sa partenaire. Encore une fois, leurs échanges sont un régal : l'apprentissage est à double-sens avec eux, alors qu'il est à sens unique entre le calme Tsyr et son impétueux rejeton. Aayla transmet son calme et sa sérénité à son maître, qui en retour lui apprend à davantage se lâcher et avoir confiance en elle-même.


Les voilà donc sur Kintan, planète natale des Niktos, où Tholme et Nat Secura ont été enfermés dans une forteresse surplombant un volcan – autrement ce serait trop facile ! Les Morgukaï et leurs opposants "jeedaï" vont dès lors jouer au chat et à la souris dans la désolation incandescente de Kintan. Lorsque les seconds parviennent enfin à la forteresse après moult fusillades, lancers de sabres, grenadages et escalades, Quinlan est blessé mais Bok est laissé pour mort dans une chute de lave. Tiens, voilà qu'Ostrander et Duursema préfigurent l'Épisode III !


Tout cela est fantastique à tous les niveaux, tout droit sorti d'un film de kung-fu. Dommage, vraiment, que les allers-retours avec Ryloth cassent un peu le rythme ! Mais il n'empêche que l'affrontement final au cœur de la forteresse est absolument dantesque. C'est un véritable labyrinthe bourré de pièges que les Niktos ont mis en place, obligeant les jedi à se séparer : Aayla doit aller sauver son maître et son cousin du droïde qui les torture à mort pendant que Quinlan retiendra Tsyr, bientôt rejoint par son fils qui s'en est sorti in extremis… ce qui donne lieu à l'une de mes répliques préférées de tout SW, signée un Quinlan Vos plus pince-sans-rire que jamais : "Deux Morgukaï contre un jedi blessé ? Pas très équitable… ça vous aiderait si je fermais les yeux ?"


Et de fait, ce n'est pas que vaine rodomontade puisqu' en ajoutant le sabre laser de Tholme au sien, Quinlan parvient à décapiter Tsyr dans un mouvement superbe. Hélas, Bok le prend dans le temps et est sur le point d'achever le Kiffar blessé et épuisé… lorsqu'Aayla s'en revient, tranche le bras du jeune Nikto qui préfère se jeter du haut d'une falaise plutôt que de se rendre. Comme dans l'album précédent, Villie et NT arrivent à la rescousse sur l'Inferno, bye bye Kintan, tout est bien qui finit bien.


Enfin, pas tout à fait… nous avons droit à un double épilogue : d'une part, le Comte Dooku rassure ses subordonnés, Kh'aris Fenn et Bok maintenant doté d'un bras cybernétique, leur promettant une revanche qui mettra BEAUCOUP de temps à venir ; de l'autre, en récompense de leurs bons et loyaux services, le conseil des jedi élève Quinlan Vos à la dignité de Maître et Aayla Secura à celle de Chevalier. Leur rite de passage est achevé, mais pas le lien indéfectible qui les unira à jamais.


John Ostrander et Jan Duursema marchaient vraiment sur l'eau à cette époque. Ce tome 3 est formidable, comme je l'ai dit mon seul souci c'est la partie sur Ryloth, dénuée de réelle tension, même si Villie fait ce qu'il peut pour nous faire rire. De manière générale je tiens à souligner une nouvelle fois à quel point les dialogues sont au poil dans cet album – ce qui ne sera hélas toujours une constante chez Ostrander, alors profitons-en. Le thème classique du rapport entre le maître et l'apprenti est exploré avec beaucoup plus de finesse que dans L'Attaque des Clones ; ce n'est pas difficile, me direz-vous… à ce stade nous avons ce que Quinlan et Aayla ont traversé, il est donc agréable de les voir s'entraider pour vaincre leurs peurs, plutôt que ce soit juste lui qui fasse la leçon à la jeune femme. Tholme aussi se voit donner plus de profondeur.


Avec le coloriste Brad Anderson, le duo Ostrander-Duursema se transforme en un trio qui allait dominer les comics SW de Dark Horse pour la décennie à venir. Comme je l'ai dit dans ma critique de Ténèbres, je regrette le départ de Dave McCaig, mais force m'est de reconnaître qu'Anderson fait une entrée en fanfare. Ses couleurs digitales sont beaucoup plus criardes mais cela se prête à merveille aux laves de Kintan, notamment ; et même à l'intérieur de la forteresse on se croirait dans un film tant les lumières et les lasers sont réalistes ! Rite de Passage est un plaisir pour les yeux, un autre symbole de l'âge d'or des comics SW à l'aube des années 2000.


Oserais-je dire que c'est à bien des égards l'Épisode II que nous méritions ? Ce serait peut-être aller loin… mais ce qui est presque certain en revanche, c'est qu'il s'agit de l'apogée du tandem Ostrander/Duursema, qui s'il parviendrait à maintenir un excellent niveau pour encore quelques années, plus jamais n'atteindrait ce degré de quasi-perfection et de symbiose entre scénario et dessin…

Szalinowski
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le 15 mai 2019

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