Shangri-La
2016 | Mathieu Bablet
đđđđđ
Whoua.
Quelle lecture. Quelle claque.
Comment parler de Shangri-La ? Câest bien la question. Difficile dây rĂ©pondre tant lâĆuvre bouscule, dĂ©range, et pointe du doigt un systĂšme supposĂ© protĂ©ger et pĂ©renniser lâhumanitĂ©, alors quâil en rĂ©vĂšle les limites, les illusions et les angles morts.
On y dĂ©couvre une humanitĂ© vouĂ©e Ă lâĂ©chec dâune maniĂšre ou dâune autre, dans le temps comme dans lâespace ; un cycle enfermĂ© dans sa propre boucle, se rĂ©pĂ©tant sous diffĂ©rentes formes, incapables de briser son destin ou de sâextraire de ses contradictions.
Parler de Shangri-La, câest dâabord accepter dâentrer dans une science-fiction lucide, puis ouvrir la porte Ă la physique, Ă la philosophie, Ă lâexistentiel. Câest sâinterroger sur le sens de la vie, de lâĂ©volution, du progrĂšs â et surtout sur la maniĂšre dont lâhumain choisit de sây perdre ou de sây accrocher.
Plus encore, Shangri-La raconte en quelque sorte le destin de lâhumanitĂ© : une humanitĂ© qui rĂȘve dâĂȘtre Dieu, qui rĂȘve de structure et de sĂ©curitĂ©, qui rĂȘve de libertĂ©, dâamĂ©lioration, dâantimatiĂšre⊠mais sans jamais rĂ©soudre son paradoxe interne. Un rĂ©cit trĂšs actuel, pas encore rĂ©el, mais dĂ©jĂ plausible.
LâHomme qui se prend pour Dieu, et qui joue Ă Dieu.
Et comme toujours, la question nâest pas âpeut-on ?", mais âdevrait-on ?â
Mathieu Bablet livre un futur lointain, froid, technologique, mais tellement crĂ©dible quâil paraĂźt dĂ©jĂ Ă portĂ©e de main. La force de lâĆuvre ne vient pas seulement de sa vision futuriste, mais de sa logique humaine : nous construisons nos sĂ©curitĂ©s avec les mĂȘmes outils qui forgeront nos prisons.
Shangri-La explore le paradoxe fondamental de lâhumanitĂ© : vouloir se libĂ©rer tout en bĂątissant les murs qui lâenferment.
LâĂ©volution technologique peut-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un vrai progrĂšs si elle nâest pas accompagnĂ©e dâune Ă©volution morale, sociale et spirituelle ?
Câest une fiction qui parle du futur pour questionner le prĂ©sent â et câest prĂ©cisĂ©ment ce qui la rend puissante, dĂ©rangeante, et inoubliable.
Une BD quâil vaut mieux vivre, lire lentement, digĂ©rer, plutĂŽt que suranalyser.
Un petit bijou.