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Snegurochka
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Snegurochka

Manga de Hiroaki Samura (2014)

Rien n’est certain, je demeure indécis sur la question, mais la patte graphique de Hiroaki Samura est vraisemblablement l’une de mes trois favorites. Ça se joue en tout cas dans un mouchoir de poche. L’auteur, après qu’il en eut terminé d’aiguiser ses pinceaux, n’eut finalement aucun mal à me conquérir du temps de L’Habitant de l’Infini, mes prunelles captives de son coup de crayon somptueux et brutal, léger et tranchant, capable d’enivrer et d’assommer d’une même esquisse. Il faut en tout cas avoir le poignet souple et leste pour suggérer tant de sentiments contraires dans ce qu’on dessine.


Et puis, il y a la conception artistique, important ça, la conception artistique. À quoi bon savoir si bien dessiner si ce n’est pas pour exhiber le beau et le génie ? C’est heureux, car Hiroaki Samura, dans ce domaine-ci, ne démérite aucunement. Que ce soit le design du fauteuil roulant, le character design du modeste vivier de personnages qui nous vient, les paysages ou encore les costumes – bon sang qu’ils sont beaux – tout nous vient sans fioriture ou le moindre excès. La qualité graphique de ce qui nous parvient a l’air à la fois authentique et irréel, prêtant le jeu à une scénographie qui n’a alors jamais besoin de trop en faire pour prodiguer ses effets sur le lecteurs.


Où qu’on aille dans ces conditions, le séjour sera plaisant. Mais où allons-nous, au juste, avec Sengurochka  Je ne saurais trop vous le dire moi-même. Et pourtant, j'en reviens.


Jetés que nous sommes dans la Russie soviétique des années 30, imprégnés aussitôt du contexte languide, tout du moins séduit par ce qu’on nous présente, l’auteur s’abstient d’accabler plus que nécessaire une période réputée… fantasque, de cette Histoire du monde. Il y est question d’une Dacha, d’un secret, là, autour duquel gravitent quelques semblants de conjurations. L’intrigue y apparaît mature, complexe même, rompant de beaucoup ce que j’en attendais depuis ma décevante lecture d’Halcyon Lunch.


Peut-être est-ce à mettre sur le compte des costumes et des apparats, mais j’avais le sentiment de lire un roman classique. Le récit est assez déroutant pour ce qu’il a de nébuleux et d’insaisissable, s’abstenant de tout effet de manche dans sa scénographie, se déroulant à un rythme posé et maîtrisé.


« Nébuleux », écrivais-je… et pas qu’un peu. On ne sait jamais trop où Sengurochka veut en venir, ignorant jusqu’au pourquoi des actions et décisions de tous les personnages en présence. Il y a une forme d’inconstance larvée dans ce qu’on lit où les intentions des personnages ne font pas toujours sens au regard du contexte qui est le leur. Certaines décisions m’apparaissent en tout cas trop irrationnelles pour être crédibles, comme le fait de les surveiller dans une Dacha durant trois ans plutôt que de les torturer afin de leur arracher leurs secrets. Dès lors où on a relevé cette avarie, plus rien ou presque ne fait sens.


Le mystère de la Dacha nous paraît étranger, élusif, on ne sait trop quoi en attendre ni même s’il y a quoi que ce soit à en espérer. Et lorsqu’on croit comprendre, on souhaite que notre intuition ne soit pas la bonne, que l’auteur ne sombrerait pas dans une révélation si prévisible.


La narration est en tout cas désarmante, on ne saurait dire d’elle si elle est excellente ou exécrable au regard de ce que l’auteur cherchait à nous témoigner. Car à lire l’œuvre, on se demandera tout du long quelles étaient les intentions de l’auteur. Jusqu’à ce qu’il se livre dans les notes en fin de volume… où celui-ci admettait avoir eu envie d’écrire un manga sur une « Tsundere ».


Faut parfois ne pas voir ce qu’il y a derrière le rideau…


Pour ne pas plaider en sa faveur, Hiroaki Samura a commis l’erreur grossière de nous gratifier de la révélation la moins surprenante de l’histoire des divulgations finales. Qui n’a ne serait-ce qu’un atome de connaissance historique sur la période, devinera qui est Shchenok en moins de temps qu’il en faudra pour dire « Bordel, tu pouvais pas faire encore plus cliché ? ». L’issue était assez décevante pour ce qu’elle avait d’évidente.


C’est finalement bien narré pour ne pas aboutir à grand-chose ; comme un grand roman tourné vers le rien pour nous y faire atterrir en plein dedans. C’est assez frustrant de se dire en réalité que ce qui avait tout pour nous toucher en plein cœur passe son temps à nous manquer de peu, parfois à nous effleurer, sans jamais nous marquer.

Josselin-B
4
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le 20 sept. 2025

Critique lue 99 fois

Josselin Bigaut

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