Le meilleur

Oui, après un long temps d’inactivité, je publie une critique sur Kaiji en 2022. En fait, je voulais écrire sur Tobaku Datenroku Kaiji depuis longtemps et ayant relu le manga récemment, je me suis dit que c’était l’occasion parfaite pour lui rendre hommage car aujourd'hui il compte encore parmi mes préférés. Voilà donc ma critique dont j’avais entamé l’écriture il y a des années et que j’ai enfin décidé de terminer.

Avant de commencer, je préviens que cette critique contiendra du spoil. Si vous n’avez pas lu le manga, je vous invite à tenter ou à retenter sa lecture, ne vous laissez pas rebuter ni par la longueur du début ni parce que c’est du mahjong. D’autant plus que si vous comptez sauter cette partie pour passer direct à Kazuya-hen, vous aurez besoin quand même de la lire pour avoir un peu de contexte. Et promis ça en vaut la peine.

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Au tout début de la série, Kaiji était juste un gros looser qui se contentait de commettre de petits délits et de paris en espérant un miracle. Tout au long de ses aventures, de la croisière à bord de l’Espoir jusqu’à la bataille contre l'infâme tourbière, il aura mûrit et se sera battu pour enfin s’acquitter de ses dettes. Tout semble se finir sur une note positive, et en fait le manga pourrait tout aussi bien s’arrêter là. Sauf que l’histoire n’est pas finie.

Kaiji, incapable de se réintégrer à la société, est revenu à son état de paresse initial. Les circonstances le mèneront à replonger dans l’enfer des paris, mais cette fois accompagné par deux de ses anciens camarades du souterrain. Ensemble, ils élaborent un plan pour extorquer une grosse somme d’argent au patron du casino qui les emploient. Cela devait être une victoire facile, sauf que cette tâche va s’avérer ardue, beaucoup plus ardue que prévu. Sinon quel serait l’intérêt de suivre le déroulement d’une histoire dont l’issue est déjà décidée ?

C’est la première partie consacrée à un seul arc où toute l’action se déroule au même endroit, dès que Kaiji sera rentré dans ce casino il n’en ressortira pas avant la fin. Il est comme une proie prise au piège, un piège dans lequel il a mis les pieds sans se douter de ce qui allait l'attendre. Ce choix d’en avoir fait un huis clos renforce très bien cette situation oppressante, Kaiji se retrouve dans un véritable nid à serpents où il va devoir se montrer plus malin que son adversaire pour en sortir. Il se retrouve littéralement prisonnier, mais il est aussi prisonnier de ce fatalisme qui le pousse toujours à jouer et dont il en subit à chaque fois les conséquences. Et cet arc ne fait pas exception, ses capacités et surtout ses nerfs y seront mis à rude épreuve. Un vrai spectacle dont on se délecte au dépens de ce pauvre Kaiji.

Mais ce que j’aime particulièrement dans cet arc c’est son fil conducteur. Il est omniprésent, même dès les premières pages on y fait référence et il donne lieu à des situations qui parfois sont assez cocasses de par leur ironie. En voici quelques exemples : Kaiji qui pensait avoir trompé son adversaire, alors que depuis le début tout était monté contre lui. Ses amis qui l’ont trahi en pensant qu'il n’avait rien partagé de son argent par égoïsme, alors qu’en réalité il avait déjà tout perdu et que c’était un malentendu. Le principe même du jeu qui consiste à essayer de voir à travers les tuiles de l'adversaire. Les méthodes de triche utilisées, la stratégie de Kaiji à la dernière partie et évidemment la fameuse calligraphie affichée dans les toilettes, le manga n'hésite pas à être explicite. Ici tout n'est que duperie, paraître, ou malentendu. Les apparences ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être, à force de ne croire que ce que l'on voit on en ressort perdant. Pour en déceler la vérité il faut voir au-delà de celles-ci, see what cannot be seen, that is the heart of gambling.

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Voilà une transition parfaite pour vous parler de Muraoka, même l’antagoniste principal incarne parfaitement l’essence de cet arc. Pour nous lecteurs il apparaît au premier abord inoffensif et naïf, il est excessivement flagorneur et de par son apparence assez clownesque c’est difficile de le prendre au sérieux. Sauf que la vérité est tout autre. Une fois la supercherie dévoilée, il se révéle être un adversaire redoutable de par sa lâcheté et son extrême vigilance. Mais bien qu’il ne soit pas du tout un joueur de la même envergure que Kaiji, il a d'autres méthodes pour s'assurer la victoire sans prendre de risques. C'est un manipulateur sans scrupules, un tricheur sans limites ainsi qu'un énorme baratineur qui sait parfaitement tourner la situation à son avantage. Il n'est guidé que par son avarice et c'est ce qui en fait sa dangerosité. D'ailleurs, je pense même que la venue de Kazuya n'est pas du tout laissée au hasard et qu'il l'a fait venir exprès au cas où Kaiji lui emprunterait de l'argent. Et comme le manga nous le dévoile plus tard, cet emprunt n'est pas sans conséquence. C'est là que la comparaison faite entre Muraoka, Hyoudou et Tonegawa prend tout son sens.

En ce qui concerne les parties de mahjong en elles-mêmes, comme d'habitude pour du Fukumoto c'est excellent. Sans connaître toutes les combinaisons possibles pour gagner, le jeu est largement accessible pour tous. Le manga prend le temps de t'expliquer les règles ainsi que le déroulement des parties et même s'il y a l'air d'avoir beaucoup d'informations à ingérer, une fois rentré dedans c'est simple à comprendre. Le jeu va vraiment à l'essentiel et sa simplicité ne constitue pas du tout un obstacle, loin de là. Il en conserve juste le nécessaire, pas besoin de s'embêter avec toute la complexité du mahjong conventionnel. Et dès que les bases du jeu sont posées, on rentre dans ce qui fait le charme de cet arc. Qui sera le meilleur tricheur ? Qui aura le plus une longueur d'avance sur l'autre ? Cet arc est fertile en péripéties et vraiment, l'auteur n'y va pas de main morte pour mettre des bâtons dans les roues de ses personnages.

Pour les points négatifs, si j’avais quelque chose à redire ce serait surtout sur la victoire de Kaiji à la fin. Sa stratégie reposait sur le fait que Muraoka ait un Haku dans ses options de tuiles dont il peut se défausser, hors comment savait-il qu’il en avait un ? Pour avoir autant confiance en sa stratégie c’est qu’il devait être sûr que ça marcherait (mais il n’y a que Muraoka qui ait vu tout le jeu, il n’y avait aucun moyen que Kaiji sache ça et c’est pas mentionné dans le manga non plus). Donc la seule explication c’est que ça reposait sur de la chance, sachant qu’il n’y a que 4 exemplaires dans un jeu de mahjong et que ces tuiles auraient pu très bien se trouver soit dans sa main soit dans la muraille. Ce qui veut dire que tout ça reposait bel et bien sur un scénario qui avait peu de chances de se réaliser, ce que je trouve dommage pour du Kaiji.

Sinon son seul autre petit défaut c’est sa lenteur, comme dit plus haut l’arc met du temps à se mettre en place avant de vraiment devenir intéressant. Mais c'est un début qui est tout de même nécessaire pour bien leurrer le lecteur.

Ceci étant dit, ça reste d’après moi l’arc le mieux ficelé et le mieux écrit jusqu’ici. Je sais qu’il y a peu de chances que Kaiji revienne un jour en anime, mais s'il venait à être adapté j’espère que l’anime saura le réconcilier avec les lecteurs qui n’avaient pas réussi à rentrer dedans. Tobaku Datenroku Kaiji peut en effet rebuter pas mal de personnes parce que c’est du mahjong, mais il mérite tout autant de l’attention que les autres parties de Kaiji.