J'aime bien Kek. Je le suivais dans les années 2010 quand il faisait ses jeux flash fantaisistes sur son blog. C'était l'époque bénie où les créateurs se montaient leur propre blog, avant qu'ils ne soient tous rassemblés sur les réseaux et leurs dynamiques malsaines. Avant d'ouvrir le livre, je savais déjà que ce serait bien.
Un soir donc, un collègue de Kek lui demande de venir donner un coup de main comme bénévole aux restos du coeur (il y a eu une grève, des bénévoles ne peuvent pas venir). L'expérience lui plaît, et il décide de revenir, en donnant au moins un soir par semaine pour distribuer aux pauvres.
Les restos installent des camions dans des terrains vagues (ici un près d'Invalides). Ils déplient des tables, montent des postes de distribution (boulange, café, soupe, repas chaud, sucré...). Il y a le poste le plus désagréable, celui chargé de gérer la queue.
De cette expérience originelle, au contact des "bénéficiaires" (ceux qui reçoivent les repas), Kek forme le projet d'un livre consacré aux restaus. Ce n'est en aucun cas une synthèse exhaustive : vous n'aurez pas d'historique sur la fondation des restos, ni ne serez bombardé de chiffres. Vous ne trouverez pas non plus de réflexion politique à la Romain Goupil sur le fait que dans un monde parfait, les restos ne devraient pas exister. Kek blague un peu à ce sujet : quand tu signes la charte de bénévole, tu t'engages à ne parler ni politique ni religion.
L'ouvrage se centre vraiment sur l'expérience de bénévole : les distributions, mais aussi les maraudes (pour aller chercher les sdf qui ne peuvent plus trop se déplacer), en voiture ou à pied, ou encore les collectes à l'entrée des supermarchés. Il y a aussi la préparation des repas, mais elle est assurée par des professionnels en réinsertion.
On n'aime ou pas le style graphique de Kek, mais je le trouve efficace, car il a un don du découpage et du rythme. Il y a des touches d'humour, qui brisent le 4e mur (il se téléporte, il donne des choses aux gens par le pouvoir du dessin, il discute avec un rat...). Il questionne les raisons pour lesquelles on devient bénévole, sans mentir sur le fait que ce n'est pas pour tout le monde (il faut encaisser la misère, les odeurs, etc...), qu'il faut trouver des manières de mettre à distance. Un des passages les plus intéressants est qu'il observe une tendance à relativiser ses propres problèmes, mais pas dans le bon sens.
Derrière cette démarche, il y a donc une volonté de donner un sens à sa vie, d'aider ceux qui n'ont aucun matelas pour se rattraper, etc... On peut dire que c'est pétri de bons sentiments, que c'est cucul, mais dans l'époque cynique qui est la nôtre, qu'est-ce que ça fait du bien. C'est un livre très inspirant, qui donne le sourire et qui est d'utilité publique.