Usogui
6.8
Usogui

Manga de Sako Toshio (2006)

J’ai constaté, avec Usogui, l’évolution graphique la plus improbable dans un manga depuis Jojo’s Bizarre Adventure. Car les dessins qu’on nous présentait au premier volume, ils ne payaient pas de mine (de crayon) et, mine de rien, étaient même parfois assez grossiers. Les visages des protagonistes affichaient tout ce que la patte de l’auteur avait de pataude et de frustre. C’est un Seinen qu’on lit et, les dessins qui se profilent, on n’y regardait pas à deux fois, ni même à une. Y’avait de la maladresse plein les planches et le rendu était relativement amateur sans même qu’on ait à comparer le dessin à ce qui se fait de meilleur. Disons-le, c’était digne d’un Hideki Arai aux débuts de The World is Mine. Et comment s’est concrétisée l’affaire en dernière instance ? En tendant quelque part entre du Boichi et du Akio Tanaka sans jamais exceller bien sûr jusqu’à ces strates. Il n’empêche que la prouesse n’est pas une mince affaire. C’est quand même beau un style graphique qui s’affine en continu). Même si, dans le cas présent, il y a des chutes brutales à certaines occasions pour ce qui est de la qualité avant de se ressaisir avec davantage de flamboyance.


Évidemment, c’est un de ces mangas dont les Mind Games ne reposent pas sur les jeux d’esprit et les failles de ces derniers afin de mieux les contrer et les exploiter, mais plutôt sur un personnage principal qu'on présume - à ce qu'en dit la narration - doté d’une intelligence rare car il devine les intentions de ses adversaires. Moi aussi je les devinerais aussi aisément s’il se trouvait un narrateur pour commander mes actions et celles de mes adversaires afin qu’elles concordent dans le sens de mes agissements. Usogui est finalement un programme informatique où l’on entre la variable « Baku a gagné » après avoir pissé 15 000 lignes de code inutiles préalables. Lignes de code qu’on s’empressera d’ignorer aussitôt l’affaire conclue pour mieux récidiver la seconde qui suit.


Il est très fort Baku, il en a des grosses couilles. Il entre dans les bureaux de Yakuzas, met les pieds sur la table et étend ses bras sur le dossier de son siège pour mieux asseoir sa morgue déjà solidement appuyée par un sourire arrogant toutes dents dehors. Et il ne se trouve jamais personne pour lui administrer la branlée qu’il mérite ; car la seule puissance de son intellect (directement indexé sur celle de son auteur, c’est-à-dire sur bien peu de choses), suffit à le sortir de toutes les situations. Il parviendra, pour commencer, à berner deux wannabe Yakuza avec un faux ticket de loterie gagnant, ce que même un nouveau-né aurait pu voir venir depuis l’espace.


Croiront à l’intelligence des protagonistes ceux qui voudront y croire, mais un connaisseur de Mind Games trouvera prétexte aux soupirs et à la lamentation continue. Usogui, c’est un de ceux-là, un de ceux qui vous proposent le Mind Game sans garantir le Mind avec une figure d’anti-héros qui ne plaît pas à la ménagère.

Hélas, un auteur qui présente un personnage si outrecuidant pour ce qui tient à sa prétention ne va pas s’arrêter là. L’engin est a peine lancé qu’on a renoncé à user des freins. Très vite survient Kakerou, la société secrète qui se charge des paris et qui parsèmera le fil du récit de ses miasmes à chaque instant. Nous parlons bien sûr de paris qui auraient été la cause même de la mort de Nobunaga Oda ! Ah, quand ça se décide à être con, ça ne le fait jamais à moitié ni même aux trois-quarts.


Assez tôt, les protagonistes troquent les jeux d’argent pour des paris reposant sur de l’action en présence d’armes à feu ou d’autres artifices sans cesse plus alambiqués. Oui, un Mind Game sans Mind, je ne m’étais décidément pas trompé après avoir formulé mon premier diagnostic. Et je le regrette amèrement, croyez-moi bien.

Mais un mindless Mind Game – oui, je baptise la forfaiture – ça ne doit pas être très consistant me direz-vous. Aussi, si ce n’est le dessin, quoi d’autre trouvera-t-on à se mettre sous la dent ? Les personnages peut-être . Et c’est avec un sourire narquois que je vous répondrai en rependant à leurs petites gueules de minets ou leur grosse bouille de brutasse dont la personnalité, dans les deux cas, ne jaillit jamais au-delà du visage.

Le néant, c’est déjà fâcheux, mais quand celui-ci cherche vainement à prendre forme, c’est terrible à voir. Les personnages affichent tous des grimaces hargneuses dans les premiers temps de l’œuvre avec ce grand sourire carnassier qui leur ouvre la gueule d’une oreille à l’autre. L’autre archétype ; l’autre variable du programme Usogui devrais-je dire, celle qui viendra plus tard à mesure que s’affinent les dessins, ce sont les personnages froids et placides. Mais alors, si froids qu’ils sont congelés. En un mot. En deux aussi remarquez.


Le néant, ça n’est ni beau ni laid ; c’est vide. Et pourtant, Usogui sera parvenu à enlaidir l’inanité même sous ses travestissements graphiques grotesques. De l’excès dans tout pour ne jamais aboutir à rien, et c’est avec ça qu’on devra composer.


Comment un manga qui se pique d’intelligence peut-être aussi stupide ?


Usogui ? Jacques Brel l’avait chanté avant même que Sako Toshio ne l’ait même conceptualisé : beau et con à la fois. Mais d’une beauté fade au service du laid, une qui se gâte, une qui se gâche et l’une sur laquelle on crache non pas de dépit mais de dégoût. Rien qu’un recueil de la pose, de la forme sans le fond et au fond, ça ne prend jamais forme. C’est mauvais et on sait, et on sent que sans le dessin ça se serait effondré depuis longtemps. À quoi ça tient Usogui ? À quoi ça sert ? À quoi bon ? C’est prétentieux sans avoir de saines prétentions ; rien que l’aménagement perpétuel du vide étalé à pleines pages. Jamais ce qui a été aussi vide ne m’a paru aussi envahissant. La médiocrité plane, elle imprègne elle est comme l’oxygène dans l’atmosphère ambiante : on ne la voit pas, mais elle est partout. Et de cet oxygène-ci, on en étouffe bien vite.


Gamble Fish ? C’était graveleux et téléguidé. Même que ça se fourvoyait dans la vulgarité au point de s’en vanter, mais ça ne se donnait pas des airs. À ses débuts peut-être, quand les auteurs y croyaient encore, juste avant qu’ils ne se rendent à l’évidence. Décidément, à comparer les deux œuvres, on convient sans peine qu’il vaut mieux céder au ridicule qu’à la forfanterie dans laquelle on se vautre ici sans honte. Usogui, quoi qu’il en soit, cumulera les deux à force d’impudence.


Voyez un stratège, imaginez-le sur le champ de bataille, infatué et sûr de son sens tactique. Il présente bien, il a jolie tournure, le dos bien droit, le visage emprunt d’une morgue étincelante, on y croit à son génie tactique. Et quand vient l’heure de la confrontation, celui-ci vous comme comme ordre : «Foncez dans le tas mes braves, mais faites-le en louvoyant et en parlant beaucoup», c’est à ce que moment-là en principe où l’insubordination s’impose d’elle-même. Mais il se trouve une myriade de crétins pour se laisser flouer par les apparences grossières du personnage et pour y croire. De la croyance en l’intelligence rapportée plutôt que de l’observation strict d’un quelconque fait se rapportant à l’intellect, c’est ça Usogui : de la pure mystification pour couillons qui s’espèrent intelligents en pensant avoir lu une œuvre qui se pique de l’être. J’adore quand ça ratiocine, quand ça cause, que ça ergote jusqu’à sonder les plus infinis détails de ce qui se fait de plus annexe. Cela, je l’apprécie quand l’exercice se fait à dessein. Parler pour ne rien dire avec un air sûr de soi et un sourire qui, à lui seul, incarne l’arrogance, ça n’est pas plaisant, c’est chronophage et soporifique. Il en faut plus que des schémas et des explications à rallonge pour établir un concept pertinent. Même l’arc du RPG trouvera le moyen de s’articuler sans aboutir.


La proximité avec Sun-Ken Rock, finalement, ne tient pas qu’aux dessins. Sun-Ken Rock était à la virilité ce que Usogui est à ruse. Nul besoin d’épiloguer sur ce postulat ; tout connaisseur de l’œuvre de Boichi mesurera la violence de l’insulte qui est faite. Insulte rendue légitime par toute la vérité qu’elle recouvre de ses postillons bilieux. Tout dans la posture maniérée, tout dans l’imposture arriérée, rien dans la caboche, c’était Usogui ; une purge sans fin de plus de 500 chapitres à l’issue desquels Baku deviendra le chef des Kakerou pour s’orienter vers un avenir sans fin ou une fin sans avenir. Tout cela n’était finalement que de l’esbroufe qui, à défaut d’être intelligent, qui à défaut de même chercher à simuler l’intelligence, cherchait à faire semblant d’émuler l’intellect en distillant inconséquemment un verbe creux au pour mieux rythmer des postures de bellâtres. Et le tout aura été camouflé derrière des dessins enjôleurs cinquante volumes durant.

Cette supercherie, ce visage sans tête, est finalement si grossier dans son acception que même un dessin de maître ne pourrait sauver la mascarade. C’est profaner la mémoire d’Ulysse que de seulement croire que la métis s’est un jour incarnée dans une seule page d’Usogui.

Josselin-B
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le 10 déc. 2022

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Josselin Bigaut

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