Sanctuary
7.7
Sanctuary

Manga de Buronson et Ryōichi Ikegami (1990)


Cette critique aura été notée S pour Scandaleuse du fait de :




  • Son racisme débridé (ce qui est ironique puisqu'il est question de Japonais)

  • Sa misogynie décomplexée

  • Ses vues politiques assumées

  • Le voile des heures les plus sombres recouvrant l'obscurantisme crasse du noir propos de son auteur.

  • La franchise et la pertinence dudit propos de l'auteur.



Sa lecture est donc formellement déconseillée aux plus sensibles d'entre vous ainsi qu'à tous les commissaires aux idées propres que je sais légion en nos contrées.



Vous aurait-on rapporté qu'une œuvre délicate, requérant minutie et pondération du fait du sérieux de sa thématique, fut entreprise par le dernier des gougnafiers, auriez-vous alors seulement pris la peine de vous y risquer ? Sortons de l'abstrait, osons une comparaison équivoque : l'adaptation de Shoah par Michael Bay, ça vous parle ? À moi, oui, je dois bien le dire parce qu'un cataclysme, c'est toujours malheureux à vivre mais ô combien délectable à observer de loin.
Un mot en guise d'introduction : «BURONSON». J'en vois déjà qui ricanent au fond. Pour ceux dont ce pseudonyme n'évoque que de vagues souvenirs, laissez-moi alors vous dire qu'il ne s'agit ni plus ni moins que de l'illustre auteur d'Hokuto no Ken. Cet homme-là, se sera essayé à un Seinen. Cet homme-là, aura jugé bon de mettre la politique politicienne au centre de son manga. Cette homme-là... n'a décidément pas peur du ridicule.
Le cataclysme annoncé est, avant même la lecture de sa quatrième de couverture, garanti à l'encre de chine sur papier glacé. Faisons-nous plaisir, mettons l'Apocalypse au carré et scrutons ce qui en résulte. Quel qu'en sera le résultat - qu'on sait toutefois couru d'avance - l'expérience sera instructive. Un peu comme faire sauter une maternité au C-4. Quelle instruction peut-on retirer d'une aussi sordide expérimentation vous demanderez-vous, vous, qui n'avez pas l'esprit aussi scientifique que le mien ; eh bien, tout simplement la découverte par empirisme des raisons manifestes et objectives pour lesquelles il ne faut pas faire sauter une maternité au C-4.
Avec Sanctuary, ce chef d'œuvre qui s'ignore au point de ne tout simplement pas exister, vous lirez ce qui n'aurait jamais dû s'écrire, mais vous le ferez les yeux écarquillés et ébahis. Je suis sûr que, mêlé à la rancœur de connaître un trépas prématuré, les habitants de Pompéi, quand ils virent les déflagrations émaner du Vésuve, auront au moins eu la satisfaction d'avoir scruté le plus impressionnant des spectacles avant d'y rester. C'est de ce sentiment-ci que je vous invite à vous imprégner en ouvrant le premier volume de Sanctuary, celui d'un regret nuancé par l'ampleur de la catastrophe.


Que les aficionados de ce manga particulièrement révéré de ses lecteurs soient avertis, je serai prolixe mais certainement pas dithyrambique. Certains, comptant parmi mes estimés abonnés, m'en avaient même suggéré la lecture, l'œil brillant, l'espoir bien là au fond du regard. Que cela me peine de trahir leurs espérances. Néanmoins, même en contenant ma mâchoire fermement serrée, je n'aurais simplement pas su contenir la bile qui me dégueulait depuis le fond du cœur.


Pourtant, cette entrée en matière, elle n'a pas de quoi retourner l'estomac. Avec Ryoichi Ikegami aux dessins, est-il seulement permis de se plaindre ? Cette vaseline-ci, elle aurait pu en faire glisser des âneries scénaristiques à condition qu'elle n'aient pas fait la taille d'un super-tanker. L'imagerie que m'évoquent ces croquis se rapportent à l'idée du «dessin-à-papa» comme il y avait jadis un «cinéma-à-papa» copieusement conspué par la nouvelle vague. Ikegami aux crayons, c'est des gueules carrées sur des corps bellement cintrés et du détail qui fourmille.
Sans parler des photos de décors et d'accessoires incrustées partout au milieu des trames graphiques. Pour un peu, si on renifle bien, ça a l'odeur d'une époque et j'y suis pas insensible. Mais la sensiblerie, ça m'indispose, et même drôlement. Quand on me prend par les sentiments, je me raidis, je suis plus vigilant qu'ailleurs et, considérant la note moyenne du manga, il y a de quoi plisser les yeux, ne serait-ce que pour mieux remarquer des défauts qui auraient échappé à d'autres. La belle œuvre en manga, j'y crois pas. J'y crois plus. Comme ça, je suis pas déçu quand je ne la trouve pas. Ça soulage en période de prospection maigre et plus encore quand je découvre que j'ai tort.


Entre en scène le personnage principal. Voilà un homme qui se balade avec un Berretta sur lui, sapé comme Don Corleone et qui, d'entrée de jeu, annonce ouvertement à des fliquettes qu'il est Yakuza ; mais son casier judiciaire serait vierge ? Je dois lire un Seinen de science-fiction, les premières pages me le laissent en tout cas figurer.
Il y a de quoi craindre, dès les premiers chapitres, le remâchement des Yakuzas de l'amour ; criminels, mais pas trop. On ne touche pas aux drogues, pensez donc, c'est immoral, on ne tue pas non plus, c'est pas le genre de la maison. Et quand ils sortent de leurs gonds, dépassent les bornes et frayent avec le moralement répréhensible, ça ne sera que parce qu'en face, ils sont pires. Tout politicien ne leur étant pas inféodé est soit libidineux, soit alcoolique jusqu'à l'extrême, soit stupide ou bien les trois à la fois. Le relativisme moral est une plaie que je tiens comme aussi mortelle pour une œuvre que celle du manichéisme. Sans qu'il n'y ait lieu de s'abandonner au misérabilisme ou à la glorification de telle ou telle faction criminelle, ne pourrait-on pas brosser un tableau réaliste où les personnages mêleraient grandeurs et bassesses en assumant ce qu'ils sont ?
Hojô, dans son rôle de Yakuza, aurait pu passer le petit séminaire avec mention. Qu'on ne se fasse pas d'illusion sur les Yakuzas et leurs prétendus codes, ils sont, comme tous membres d'une pègre organisée, un ramassis de salopards sans vergogne. Si tant est que vous soyez un peu averti de la chose, vous n'achèterez pas le doux roman du Yakuza au cheval blanc qui n'est dans l'ombre de la société que parce que la société est trop putride pour qu'il y patauge.
Sanctuary est un portrait dont la splendeur repose sur l'emploi abusif du contraste. Hojô et Asami ne sont du côté lumineux que parce que le milieu politique y est dépeint comme excessivement pourri. Ce qu'il est, au demeurant. Et dans des affaires pires encore que ne pourraient le soupçonner BURONSON ; cependant, un Yakuza n'est peut-être pas le personnage le mieux désigné pour en formuler la remontrance. Ça reste BURONSON au scénario, pas le genre d'homme qui s'embarrasse de tant de nuances quand il s'agit de représenter deux factions en conflit. La tare passe aisément dans un Shônen comme Hokuto no Ken, moins dans un Seinen qui se veut éminemment politique.


L'idée des jeunes loups venus remplacer les vieux pourris est une vieille lune, plus vieille encore que ne le sont lesdits pourris. Saint-Just avait vingt-cinq ans lorsqu'il arriva à la convention, je n'en connais pourtant pas beaucoup dans le camp du jeunisme qui auraient aimé éprouver sa politique du temps où il fut de ce monde. Un court temps d'ailleurs, puisque justement rattrapé par les bienfaits de sa politique. Je connais, en revanche, une nation dont le président a accédé au pouvoir à moins de quarante ans et qui gouverne malgré tout comme l'ont fait tous ceux qui l'ont précédé. En pire. À croire que le temps ne fait rien à l'affaire et que la jeunesse n'a pas en elle la recette miracle contre la forfaiture politique. Et, non, je ne fais pas référence à Kim Jong-Un.
Qui a du recul sur ces choses-là sait que la jeunesse est idéaliste en attendant, avec la grisaille, que le cynisme ne s'installe à force d'avoir été désabusé, happé et éprouvé par un monde qu'elle croyait combattre et qui ne faisait en réalité que la digérer. Les soixante-huitards ne sont pas restés jeunes et, une fois le pouvoir en mains, sont devenus les nouveaux curés qu'ils chassaient la veille. Frank Zappa avait admis que les jeunes producteurs branchés qui croyaient tout savoir étaient encore pires que les vieux qui n'y connaissaient rien et qui le savaient. La jeunesse, ça n'est pas une finalité politique ou la gageure d'une quelconque félicité. Bien au contraire. Un jeune, c'est aussi stupide qu'influençable et ça ne passe généralement son temps qu'à déblatérer ce que les curés de son siècle lui a pissé dans la tête durant des années. Pour une pensée nouvelle en politique, il ne faut pas être un jeune mais un marginal. Et là, il y a des coups à prendre d'ici à ce que le pouvoir ne finisse entre vos mains. Des coups que Hojô et Asami ne prendront jamais mais que l'on meure envie de leur attribuer.


Sanctuary, une histoire de deux hommes qui, par la force de leur volonté et leur intelligence, contournent le système et se l'accaparent sans une révolution. Le script se voudrait acceptable dans un Shônen, car il ne se trouvera que des enfants pour y croire. Je crois, en ce qui me concerne, que Kenshirô avait des arguments politiques plus impactant que ne pourraient jamais en avoir Hojô et Asami.
Néanmoins, malgré cette structure du récit qui laisse à désirer dans son concept, cette dernière sait y faire avec ses intrigues. En plus d'être bien ficelées avec ce qu'il faut de magouilles tortueuses, elles sont prenantes ce qu'il faut pour nous faire enchaîner les chapitres successivement et sans relâche au milieu de son lot de digressions indésirables où tous les poncifs du genre seront énoncés par ordre alphabétique. Sanctuary, ça se considère sur le plan du divertissement, pas au-delà.


Car si l'on commet l'erreur de réfléchir, l'intrigue perd en saveur. Prenez un cas pratique. Que faire mes enfants si des Yakuzas dont vous connaissez le nom cherchent à vous faire chanter avec une modeste histoire d'adultère ? Eh bien appelez la police ! Le recours - pourtant évident - ne semble jamais effleurer l'esprit de politiciens ayant pourtant à leur botte les effectifs policiers d'une préfecture entière, c'est pourtant la solution de bon sens qui se devrait de s'imposer à chaque fois.
Et en face de ces politicards supposés rabougris, tous les clichés les plus grossiers y seront passés pour accentuer le contraste déjà ridicule. Le vice aura été poussé jusqu'au sauvetage d'un bébé pour une maladie non définie qui, pour une raison encore moins définie, coûta dix millions de yens à soigner. Somme que s'empressera évidemment de payer le chevalier blanc Yakuza qui passait heureusement par là. On n'aura pas vu Hojô aider des petites vieilles à traverser la rue ou sauver des chats coincés dans un arbre, mais gageons que cela s'est fait lorsque la focale n'était pas portée sur lui.


L'ascension sociale des deux personnages dans leur branche respective est de toute manière trop rapide pour être un temps soit peu crédible. Hojo devient le chef de son clan dès le tome deux à même pas trente ans quand Asami, parti de rien, devient à lui seul une force politique incontournable à l'échelle nationale. Ce prodige, paraît-il, il le doit à sa vertu et à la splendeur de ses idées.
Et pourtant, de quel sens de l'éthique fait-on preuve alors que Asami, pour parvenir à ses fins, propose des ministères aux premiers incompétents venus dans le cadre de sa prise de pouvoir... au seul prétexte que ceux-ci soient jeunes. Voudrait-on liquider un pays qu'on ne s'y prendrait pas mieux. Là encore, ce n'est pas sans me rappeler un certain président allusivement mentionné précédemment qui aura remis clés en main des ministères à d'autres jeunes dans le cadre d'un nouvel élan démocratique. Rien de tel pour vous faire relativiser les vieux roublards qui les ont précédés. Eux étaient aussi cons et cyniques mais avaient au moins la sagesse de masquer leur insolence. Insolence qu'Asami maintiendra brandie en étendard jusqu'à sa dernière réplique.


Et nous entrons enfin dans le volet politique tant attendu quand, après avoir été ostracisé par les deux plus gros partis politiques du pays à force d'avoir eu les dents trop longues, Asami déballe son programme. Tenez-vous bien, mais alors... cramponnez-vous. Il est l'homme d'une idée et quelle idée ; la seule qui se conçoive dans un monde sain, celle consistant à donner du travail aux populations asiatiques du sud en les faisant migrer au Japon.
Dieu de Dieu, il n'en fallait pas plus pour lancer la machine ; un pamphlet immigrationniste enveloppé dans un Seinen, BURONSON aura osé. Sanctuary rejoint alors le Panthéon - car ce manga est mort à cet instant précis - des mangas à la politique étriquée comme ont pu l'être Rainbow ou Prophecy. Je ne transformerai pas ma critique en tract politique, mais, les Japonais, étant parmi les touristes les plus nombreux à venir en France, ont pu éprouver le temps d'un séjour le génie d'une politique d'immigration débridée en nos contrées. Autant vous dire qu'en rentrant chez eux, ils auraient très vraisemblablement craché à la gueule de ce bon monsieur Asami en sachant ce qu'il leur réservait alors.


Bien entendu, tous les politiques japonais s'opposant à son projet ne sont que de malheureux briscards grabataires et combinards n'ayant à cœur que leurs intérêts propres et, c'est du fait de leur sordide égoïsme empreint de cynisme qu'ils refusent une idée si lumineuse. Il n'empêche que trente années de recul historique démontrent à ce jour que ces barbons conservateurs n'ont finalement pas eu tellement tort d'envoyer chier des porteurs de peste de l'engeance d'Asami.
Mais l'ordurerie de son programme ira même plus loin encore, car son idée consiste purement et simplement à mettre en concurrence les travailleurs étrangers et la jeunesse japonaise pour forcer cette dernière à lutter à la seule fin de mériter son sort. Ce que nous propose cet idéaliste au grand cœur, c'est rien moins que du struggle for life mélangé à un dumping social clairement assumé. Et avec le sourire qui plus est ! Parce qu'il se donne le beau rôle en professant ces immondices et ce, en plus d'être le sujet d'une outrageante mise en scène chargée de mettre en relief la platitude de son ignorance.
La force du propos politique de Sanctuary repose en premier lieu sur le tas de connerie sur lequel il est assis. Ce n'est même plus indigent ; c'est débilitant au possible. Mais toujours avec le sourire. Toujours. Car c'est aussi ça la force des jeunes tant vantée par BURONSON, celle d'être beaux et cons à la fois. D'être même aussi cons qu'ils sont beaux. Et quelle beauté mes amis, quelle beauté...
Quelle calamité surtout. Et nous n'en sommes alors qu'au quart du supplice ; la plaie n'est même pas encore ouverte que la gangrène s'installe déjà. C'est fou ce que le temps paraît suspendu quand on le passe à s'esclaffer aux larmes d'un rire amer et consterné.


En parallèle, un Yakuza aux ordres de Hojô, presque en solitaire, submerge et met à genoux les triades Hong-Kongaises le temps d'une escale. Je devine à cette narration que monsieur BURONSON est aussi bien informé de la réalité criminelle de ce monde qu'il ne l'est des questions politiques.
Ce chapelet mondialiste qu'il vomira en sus et, dont Asami n'est que sa marionnette, est un discours que j'entends depuis ma naissance. Un discours de vieux pourrait-on dire et qui avait déjà des relents frelatés avant même d'être énoncé pour la première fois. Un discours dont pas un promesse ne s'est révélée exacte et qui aura salopé ce monde au nom du jeunisme, de l'union des peuples et de je ne sais quelle mièvreries qui faisaient, elles aussi, abstraction de la réalité politique et de l'existence de peuples aux identités et aux aspirations marquées. Un discours de con chanté à tue-tête dont, depuis ma prime enfance, je cherchais à esquiver les refrains lénifiants en lisant des mangas tant ce discours avait envahi toutes les autres sphères culturelles. Sanctuary aura été, à son corps défendant, le relais propagandiste d'une thèse politique soutenue par ces mêmes vieillards que BURONSON affecte de mépriser. Cela ne relève pas de l'ironie la plus grinçante mais de la preuve par quatre que BURONSON ne connait rien à la politique et qu'il aurait mieux fait d'en rester à la seule qui vaille, celle du désert du Kanto.


On pourra me reprocher la violence de mes attaques sur le fond de ce que l'œuvre a à proposer, mais on ne pourra pas raisonnablement incriminer la pertinence de ce que j'ai à répliquer en retour. Je l'ai dit et je le répète, il n'y a rien de plus compromettant pour un auteur que de mettre en œuvre sa création à la seule fin de déballer un propos politique, plus encore quand ce dernier se veut aussi insane. Sanctuary m'aura fait relativiser les platitudes du bon Capitaine Harlock. Ces dernières étaient creuses et abstraites mais avaient au moins le mérite de faire rêver. Avec ce que j'ai lu ici, mon seul rêve est de rejouer la partition Dallas 22 Novembre 1963 à ce cher Asami. Autant dire que le petit fond politique qui mitonne ici m'aura laissé comme quelques aigreurs à l'estomac.


Mais l'histoire continue et la narration offre toutes les opportunités les plus improbables aux protagonistes. Survivre à des situation inextricables, se retrouver chef d'une section Yakuza en quinze secondes, former un nouveau parti politique en proie au succès immédiat sur un discours mielleux et inepte, tenir entre ses mains la plus puissante banque du pays. Tout va de soi, sauf l'intérêt du lecteur.
À quoi bon suivre les aventures de deux hommes à qui tout réussi sans interruption et en toute circonstance ? Hojô et Asami ne sont pas tant des personnages que les fantasmes de son auteur ; ils sont jeunes, ils sont beaux, ils se tapent les plus belles nanas, battent tout le monde sur tous les terrains alors que rien ne leur résiste. Mais de grâce monsieur BURONSON, donnez-leur le pouvoir politique dès le premier chapitre, vous nous épargnerez à tous ces escales futiles sur le trajet de leur route tracée vers la victoire absolue et incontestée. Car, quand Ishihara, après que Hojô se soit pris deux balles dans le buffet, s'écrie et répète «Tu ne peux pas mourir», elle ne fait en réalité que relever un constat évident permis par l'armurintrigue en scénarium renforcé des protagonistes. Pour Hojô et Asami, un séjour à l'hôpital ne sont que de modestes aléas et en aucun des erreurs de parcours. Comment pourraient-ils se tromper de chemin puisque la voie menant jusqu'à la victoire est fléchée par l'auteur depuis le premier chapitre ?


S'il m'était permis de résumer à l'extrême le scénario de Sanctuary, jusqu'à le condenser en un seul et unique chapitre, ce qui, j'insiste, eut été préférable, j'aurais alors scénarisé Hojô et Asami, avec l'aimable participation de Tokai, dès la première page, affairés à vriller Ishihara par les six trous qui, une fois correctement rabrouée et rhabillée, se serait exclamée «Félicitations, vous voilà devenus Premier Ministre et chef du syndicat du crime». Asami se serait ensuite tourné vers le lecteur avant de s'écrier avec emphase, le poing brandi en sa direction «Je vais faire venir cinq millions de Pakistanais au Japon» suivi d'un encart sur fond noir pour conclure le chapitre où il aurait été inscrit «Et le Japon alla soudainement beaucoup mieux, fin».
Je pense, en résumant les choses ainsi, ne pas avoir trahi une virgule du propos que son scénariste avait à nous transmettre. Entre la scène de cul gratuite, les idées à la con énoncées avec une insolence crasse et l'issue défiant toute logique grâce au pouvoir suprême de la facilité scénaristique, je pense avoir correctement situé l'essentiel de Sanctuary. L'essentiel, si ce n'est l'essence même.


Est-il besoin de préciser - à ce niveau de crédibilité - que nous assisterons à une scène de combat torse-poil en pleine hémicycle parlementaire ? Chassez le naturel, il revient au Hokuto.
Sortiront, ici et là, quelques têtes nouvelles le temps de créer un nouvel antagoniste pour la finalité de remplir la partie d'intrigue Yakuza décidément devenue bien encombrante. Ces nouveaux visages pointeront le bout du museau le temps d'éprouver la perfection incarnée dans leurs gencives et d'être vaincus par Hojô en quinze minutes, douche comprise.
Je le dis sans exagérer, les méchants de City Hunter sont mieux motivés que ceux présentés ici.


Après avoir tenté de nous vendre les travailleurs immigrés du sud pacifique, BURONSON nous sert, inconsciemment ou non, la soupe américaine pour mieux valoriser le libre-échange entre le Japon et les États-Unis, J'en venais sérieusement à m'interroger quant à savoir si quelques grands industriels étrangers - friands d'immigration et de baisse des régulations douanières - n'avaient pas glissé un petit billet dans la poche de l'auteur pour que ce dernier ne soutienne une thèse aussi risible. Sanctuary, à soutenir sans cesse le parti de l'étranger, s'accepte comme une œuvre anti-nationale. BURONSON s'est-il seulement demandé ce qui serait advenu du Japon si l'incursion américaine avait pu se faire en terme d'échange comme il le souhaitait ? A-t-il seulement mesuré le taux de chômage que cela aurait engendré en contrepartie ? Et pensez-vous qu'il aurait renoncé à l'idée de l'immigration massive de travailleurs en cette même période de chômage ?
Plus je m'interroge et plus je réalise que Sanctuary aura tapissé le fond des programmes politiques de la sociale-démocratie occidentale pendant ces trente dernières années là où, le Japon, en ne suivant pas la recette Asami, s'en sera remarquablement mieux tiré que nous en comparaison.


Mais ça ne s'arrête pas là. Ça ne s'arrête jamais là puisque que la future présidente des États-Unis, une bombe sexuelle blonde aux yeux bleus évidemment, s'en vient au Japon se faire remuer le berlingot par Asami l'alpha japonais (mais non, l'auteur ne fantasme pas, mais non). Elle déclamera alors, après un orgasme tonitruant, que le racisme n'a aucun sens au prétexte que madame se sera faite emmancher par un Jap. Ce qui m'amène à confirmer qu'effectivement, les femmes et la politique sont bien deux entités distinctes et largement dissociables. Si les convictions de certaines sont l'affaire d'un coup de bite bien senti, peut-être serait-il préférable de restreindre l'accès aux urnes au plus grand nombre. À chacun, même. Ne serait-ce que pour l'avènement du bien commun.
L'immigration massive, le libre-échange sans borne, l'anti-racisme bas du front... je crois qu'on a le tiercé dans l'ordre de la politique sorossienne qui nous est imposée au forceps depuis des décennies en Occident et qui, apparemment, avait des vues sur le pays du Soleil Levant dès les années quatre-vingt-dix.


Pour moi qui adore les œuvres baignant dans la politique politicienne avec son lot de crapuleries et d'intrigues, je serai resté sur ma faim. Les forces en présence sont si maléfiques - Isaoka en premier lieu - qu'on pourrait réellement leur substituer un méchant Disney. Et même là nous serions encore loin du compte en terme d'ignominie exagérée. Des œuvres à la fois politiques, cyniques mais réalistes, ça existe. C'est le propre de House of Cards, des Hommes d'Influence, Il Divo ou Votez MacKay entre autres. Ici, le volet politique est exclu puisqu'il ne s'agit plus que d'un concentré de poncifs naïfs, mensongers et abrutissants sans intrigue crédible susceptible de cimenter le récit. Quand des enfants donnent leur ressenti de la politique, c'est mignon. Quand des adultes donnent leur ressenti de la politique et tiennent les mêmes propos que les enfants précédemment cités, ça devient inquiétant d'abord et consternant ensuite.


À me remémorer peu à peu le pire de mes lectures à force de multiplier les prétextes évoquant ce genre de souvenirs, Sanctuary me rappelle Sun-Ken Rock en bien des points. Oui, à y réfléchir, Sanctuary est un Sun-Ken Rock distingué. La forme y est plus rutilante, les propos tenus plus soignés et les abondantes scènes de cul moins outrageantes.... mais le fond y est tout aussi frelaté. La similitude entre les deux œuvres, je la retrouve rien qu'à l'odorat de ce qui en émane. C'est vous dire si je me suis esquinté les narines.


Et quand je dis que ça ne s'arrête jamais... vient évidemment l'instant fatidique où Asami est pris la main dans le sac par les médias à copiner avec une figure notoire de la pègre. Rideau ? Pensez donc. Ils organisent une conférence de presse conjointe d'où ils ressortent étincelants.
Mais pourquoi pas après tout ? Si le lecteur a accepté tout le reste, on peut bien lui faire bouffer n'importe quoi. Au point où en est l'intrigue, ils pourraient enfiler madame soleil pendant la météo et en ressortir avec le prix Nobel de la paix. Plus rien n'a de sens, tout ce qui tient au sérieux est anéanti, alors autant prendre ce qu'il reste avec humour, il ne nous reste que ça.


Vous autres qui me lisez - pauvres de vous - pouvez certainement voir, au fil de votre lecture, que je deviens graduellement plus dingue au fur et à mesure que les paragraphes s'enchaînent. C'est avec une camisole que je clôturerai cette critique, je serai forcé de la finir en tapant sur le clavier avec mon nez, mais j'en viendrai à bout comme Sanctuary sera parvenu au bout du bout de ma patience, chapitre après chapitre.
Car ça continue !


Hojô, le Yakuza, se présente finalement aux élections, avec même le soutien du procureur général et, tant qu'on y est, du président des États-Unis, ce dernier s'étant carrément déplacé en personne pour serrer la pogne d'Asami en pleine campagne électorale japonaise.
Plus c'est gros, plus ça passe comme disait un autre expert en propagande. Je pensais avoir atteint des sommets avec la démesure de Air Gear, je culmine maintenant au-delà de la voie lactée avec la folie des grandeurs selon Sanctuary. Parce que le pinacle, dites-vous bien il est encore loin. Voilà qu'au détour des fourrés, surgit la mafia russe - je ne questionne même plus à ce stade - je me dis que ce sera alors l'occasion pour les Japonais de les interroger sur les bienfaits de l'économie de marché sans régulation au lendemain de la chute de l'U.R.S.S. Mais non.
J'ai aussi beaucoup ri quand Hojô - sûr de lui comme toujours - annonce que la Chine continentale se fera bouffer par Hong-Kong. Certaines prophéties vieillissent mal , surtout quand elles sont annoncées par des cons.


Un tome de plus et l'intrigue se serait terminée dans l'hyper-espace en compagnie des petits-hommes-verts. La déconnade était absolue et rien, si ce n'est une fin de parution inopinée, ne pouvait y mettre un terme.
Puis, au dernier moment, Isaoka se ravise et décide de tout céder à Asami. Merci à toi, facilité scénaristique, de nous mettre un énième coup de surin dans les flancs alors que s'achève cette courte épopée qui m'aura pourtant parue bien trop longue. La victoire est totale, la constitution incluant le régime présidentiel a été acceptée ; les Japonais vont enfin pouvoir voter comme des cons et être tenus comme seuls responsables de l'incurie gouvernementale édition jeune. Hourra.


Ma foi, ce sera un deux sur dix, car une œuvre qui se pique de politique et s'y vautre si salement ne peut guère mériter plus. Cela me fait de la peine pour Ikegami dont les dessins à eux-seuls valent plus, mais il est hors de question de s'adonner à la moindre forme de complaisance concernant de pareils documents propagandistes, a fortiori d'une idéologie aussi méprisable et servie avec une candeur aussi criminelle.


Ainsi s'exprima la Haine.

Créée

le 1 févr. 2021

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Josselin Bigaut

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