Ce tome est le onzième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Il comprend les chapitres 98 à 107. Ce tome comprend un lexique des principaux personnages, de 6 pages.


Ce tome constitue la troisième partie de la tentative de Musashi Miyamoto de se mesurer au plus grand sabreur du Japon : Sekishusai Yagyu. La confrontation ne se déroule absolument pas comme il l'escomptait puisque qu'il se retrouve dans une chambre, face à un vieillard alité et endormi. Musashi contemple sa victime, indécis et pris d'une forme de vertige. Cette partie s'étale du chapitre 98 au chapitre 102 inclus.


Par la suite, chacun de leur côté, Musashi, Otsu et Jotaro doivent décider s'ils restent ou non au château des Yagyu. Takuan rend visite à Sekishusai Yagyu. À partir du chapitre 106, la narration revient à Matahachi Hon'Iden (qui se fait toujours passer pour Kojiro Sasaki), bien encombré avec sa mère Osugi sur le dos, et l'oncle Gon dans les parages.


5 chapitres consacrés à Musashi en train de contempler Sekishusai en train de dormir, cela peut sembler long a priori. Takehiko Inoué se frotte à un nouveau défi narratif : raconter ce drôle de face-à-face, le rendre intéressant visuellement, et montrer au lecteur l'état mental de Musashi et l'évolution de son appréciation de cette situation.


C'est avec une habileté inouïe que l'auteur tire le meilleur parti de cette scène des plus statiques. Certes il y a beaucoup de cases se focalisant sur le visage immobile de Musashi, ou sur celui tout aussi figé de Sekishusai. Mais ces cases sont intégrées dans la narration, où elles apportent une information à chaque fois légèrement différente, en fonction de la suite de cases dans laquelle elles s'insèrent.


Certes comme le lecteur pouvait s'y attendre l'artiste insère des séquences dans lesquelles Musashi imagine ce qui va se produire. Mais là encore, il ne s'agit pas des images attendues, il ne s'agit pas simplement de Musashi imaginant faire un mouvement, et essayant de se représenter le mouvement que Sekishusai fera (éventuellement) en retour.


En fait, Takehiko Inoué se sert de cette longue séquence pour développer la motivation profonde de Takezo, sur un mode quasi psychanalytique, entièrement sous forme visuelle. L'auteur ne se lance pas dans de longues considérations, ni en voix off, ni sous forme de long monologue intérieur du personnage principal. Au lieu de cela, il utilise des remémorations de Takezo, développant un peu plus sa relation avec son père. Le lecteur ressort aussi impressionné que convaincu par cet éclairage entre la volonté d'être le plus fort de Takezo, et l'exemple que lui a montré son père. L'auteur atteint son objectif : représenter les sentiments complexes qui habitent son personnage et alimentent ses motivations.


À l'issue de ce face-à-face aussi statique qu'imprévisible, le lecteur ressent à nouveau la sensation que le personnage a fini un nouveau donjon et qu'il doit se déplacer pour se rendre au suivant. Néanmoins cette mécanique du récit est fortement atténuée par la forme de l'affrontement qui vient de se dérouler et par la réponse sibylline de Sekishusai à la question fondamentale pour Musashi. Qu'est-ce qu'être le meilleur ?


C'est avec plaisir que le lecteur découvre l'épilogue à ce combat : Musashi en train d'observer Otsu à distance, et prendre conscience d'autres réalités de la vie. Il éprouve encore plus de plaisir à revoir Takuan. Enfin Takehiko Inoué s'avère toujours aussi doué pour mettre en scène l'imposture de Matahachi, avec tous les risques d'être découvert qu'elle comporte. Ces séquences rappellent e brio avec lequel Patricia Highsmith faisait de même dans sa série de romans consacrés à Monsieur Ripley.


Depuis le début de la série, le lecteur prend plaisir à cette transposition du roman d'Eiji Yoshikawa, également du fait de la qualité de la reconstitution qui l'emmène dans ce Japon médiéval du début du dix-septième siècle.


Dans ce tome cela commence par un détail (déjà vu dans le tome précédent), très déstabilisant : l'oreiller de Sekishusai, ou plutôt son repose-tête. En effet il s'agit d'un parallélépipède rectangle en bois, authentique, mais qui amène à s'interroger sur la dureté d'un tel accessoire par rapport à nos pratiques occidentales (oreiller bien moelleux). Il y a ensuite le dénuement de la pièce où dors Sekishusai. Le lecteur peut y voir la fragilité des parois, ainsi que le grain des tapis tressés en paille de riz.


Il faut attendre la fin de cette longue confrontation qui sort de l'ordinaire, pour pouvoir admirer d'autres endroits. Le lecteur retrouve le petit pont de bois qui enjambe un ruisseau, avec la courbure si caractéristique de ce type d'ouvrage au Japon. Comme précédemment, il peut admirer le grain du bois, assombri par la faible luminosité, mais toujours visible, un très beau travail de tramage, parfaitement lisible.


Par la suite, le lecteur peut admirer une magnifique vue du ciel du domaine des Yagyu (chapitre 103), à nouveau avec une faible lumière nocturne, à nouveau parfaitement lisible, avec les arbres du domaine implantés de manière naturelle. Dans le chapitre 105, le lecteur tombe en admiration devant l'escalier en pierre du domaine des Yagyu avec le portail d'apparat. À nouveau, il peut observer le détail des tuiles de la toiture de la maison de Sekishusai Yagyu : un niveau de détails incroyables, tout en restant parfaitement lisible, avec une grande attention apportée à l'architecture. Takehiko Inoué (avec ses assistants) apporte le même soin à représenter les environnements naturels, l'essence des arbres, les plantes, les champs, les routes en terre.


Grâce à cette implication totale du créateur, le lecteur jouit de cette reconstitution historique soignée et fouillée, qui apporte à la fois une grande densité au récit, et un côté touristique irrésistible dans sa consistance. Cet artiste s'avère être un costumier tout aussi soigneux. Certes la garde-robe de Takezo Shinmen se limite à un seul vêtement qui accumule la poussière depuis le début. Par contre, il est possible d'admirer les kimonos d'Otsu, et les vêtements des autres personnages. Le lecteur peut se sentir présent aux côtés des personnages, voir l'usure de leurs sandales de corde.


Ce degré de réalisme, ou plutôt de concret dans la narration, fait que le lecteur peut se projeter à cette époque, dans ces lieux, au milieu de ces individus. Cela l'incite à se poser d'autres questions sur les aspects quotidiens de cette époque. Il ne se sent pas trop frustré de ne pas assister aux repas des personnages, ou à leur toilette. Par contre, il finit par s'interroger sur d'autres aspects très concrets comme ces nuits passées au grand air par Takezo Shinmen. Les dessins montrent une nature très sauvage, où la présence de l'homme se détecte essentiellement dans l'existence de chemin, et de champs aux abords d'une ferme ou d'un village. Il se demande alors quels sont les dispositions qu'un individu peut prendre pour passer une nuit au grand, sans équipement particulier, sans protection aucune.


À nouveau ce tome recèle des moments qui s'avèrent plus importants que la somme des parties qui les composent. Takehiko Inoué mène ce face-à-face muet (entre Sekishusai et Miyamoto) de main de maître installant une tension palpable. Le lecteur ressent un pincement au cœur en voyant Musashi regarder Otsu et prendre conscience de l'incidence de son propre comportement sur sa vie à elle, même lorsqu'il n'est pas présent).


Il y a ce moment tout aussi incroyable quand Takezo enfant observe son père à la dérobée, alors que celui-ci perd sa contenance en s'entraînant, angoissé à l'idée de ne plus être le meilleur. Takehiko Inoué est tout aussi habile dans les situations comiques, souvent réservée à la couardise de Matahachi. Il peut également s'agir d'un moment fugace comme un go-ban (plateau de go) renversé, sous-entendant que Sekishusai a encore eu un mouvement maladroit intentionnel, parce que Takuan s'est montré meilleur.


Ce onzième tome respecte toujours le côté feuilletonnant du roman d'Eiji Yoshikawa, tout en faisant en sorte de rendre le plus réaliste possible la quête de Takezo Shinmen. En outre, le lecteur attentif peut déceler des thèmes plus philosophiques comme celui de l'interdépendance entre les êtres humains.

Presence
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le 12 juin 2019

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