Quand on commence à s'intéresser aux comics X-Men, on tombe très vite sur Dieu crée, l'Homme détruit, cette histoire jouissant d'une excellente réputation, au point de servir de référence principale pour le meilleur film de la franchise, à savoir X-Men 2 — qui risque bien de le rester encore un très long moment vu que maintenant, c'est Disney qui s'en occupe.
Malheureusement et autant rien ne vous cacher : j'ai trouvé ce comics décevant. Autant, je salue son côté précurseur, son placement et sa pertinence durant l'ère Reagan — et vu le bonhomme à la tête des États-Unis aujourd'hui, inutile de dire que cette pertinence ne s'est pas forcément nullifiée avec le temps —, autant je n'ai pas trouvé le propos de Chris Claremont très subtil et, pire que ça, le travail de Brent Anderson sur le dessin m'a paru très inégale.
Concernant ce dernier, il me semble important de préciser que la version que j'ai eue entre les mains fait partie de la gamme « Must-Have ». Une édition toute récente puisqu'elle inclut quelques pages supplémentaires, ouvrant et fermant le récit. Ainsi, quand je parle de dessins inégaux, je pense avant tout à ces pages rajoutées qui, pour le coup, sont quand même vachement moches : les cases sont vides, limites étirées, les visages bouffis… pas facile donc de débuter et de fermer le comics sur ces pages, conçues en partie pour lier l'intrigue au one-shot X-Men Black: Magneto, publié en 2018. Mais même sans ça, même en faisant mine d'oublier ces nouvelles cases qui me rappellent curieusement les nombreux rajouts dégueulasses qu'a pu faire George Lucas avec la trilogie originale Star Wars, je n'ai pas trouvé le dessin, les planches originales, fantastiques pour autant. La faute à des personnages qui adoptent parfois des postures improbables et qui sont mal placés dans l'espace. Encore une fois, ce n'est pas moche, mais inégale, ce qui fait, vu le nombre de comics et autres BD que j'ai pu avoir entre les mains, que God Loves, Man Kills ne restera pas gravé dans ma mémoire. Certaines fonctionnent ceci dit, notamment quand le dessinateur tente des choses. Je pense en particulier à ces pages, lourdes de sens, plongées dans le rouge, où Charles Xavier est crucifié ; ainsi qu'à l'origin story du Révérend Stryker, avec ce qui me semble être de l'encre brune posée en lavis, conférant un aspect sépia aux pages entourant son passé.
Pour revenir sur le propos, l'écriture de Claremont, les idées sont là, mais l'exécution, pas forcément. Pour le dire autrement, l'auteur fait l'erreur de surexpliquer ce que le lecteur a déjà compris, d'insister sur ce qui a été dit, de répéter… comme je suis en train de le faire quoi. Le dernier chapitre insiste à mort sur le fait que de nombreuses personnes ne sont pas d'accord avec Stryker, au point de le verbaliser à plusieurs reprises : certains dialogues auraient pu être supprimés ou remplacer par le dessin. Le tome possède cependant de nombreux passages qui font mouches : débuter son intrigue sur deux enfants afro-américains qui, en l'espace de 2 pages, finissent froidement assassinés, puis enchaînés, avec un écriteau « Muto », autant ce n'est pas subtil, autant ç'a de quoi capter immédiatement l'attention du lecteur. Aussi, le débat télévisé du premier chapitre, opposant Stryker à Xavier, met en avant cette dualité, malheureusement encore trop présente aujourd'hui, où une personnalité se sert du pathos, joue sur les angoisses des téléspectateurs (si vous avez vu Zemmour « débattre », ça devrait vous donner une petite idée), là où son opposant met en avant la morale et les idées.
Encore une fois, on retrouve un comics marqué par son époque, l'une des motivations de Claremont, dès le lancement du projet, étant d'évoquer le développement des mouvements religieux extrémistes durant les années 80 aux États-Unis, le télévangélisme — avec pour cible principale le Mouvement de l'identité chrétienne et la Majorité morale de Jerry Falwell. Le passage durant lequel Stryker pointe du doigt Diablo, le qualifiant de « chose » est d'autant plus ironique que ce dernier est sans nul doute l'un des mutants les plus croyants de son univers. Ceci dit, on reste encore en surface, face à une scénarisation encore très centriste où ce sont uniquement les excès de la religion qui sont visés. Encore une fois, si on fait fi du côté précurseur de l'œuvre, si on la parcourt avec un point de vue d'aujourd'hui, on ne trouvera rien de mirobolant là-dedans.
Initié, toujours par Claremont, un an plus tôt, Dieu crée, l'Homme détruit poursuit la volonté de l'auteur de ne pas faire de Magnéto un bête antagoniste ambitionnant de dominer le monde. Le faisant douter de lui-même, revenant sur son lien passé avec Xavier, il faut bien admettre que c'est grâce à lui que l'un des meilleurs antagonistes des comics a pu bénéficier de l'aura qu'il a aujourd'hui. Ici, l'ennemi d'autrefois devient un allié de circonstance, un personnage avec qui le lecteur peut se retrouver en phase, une sorte d'antithèse du Révérend Stryker, tous deux étant prêts à user de la violence afin d'arriver à leurs fins.
Lorsque Jim Shooter, éditeur chez Marvel, profita de la notoriété des X-Men dans le but de proposer des intrigues destinées à un public plus mature, il s'inspira de la BD franco-belge. En résulta une certaine évolution du genre, des progrès qui ont durablement imprégné le genre, au point où le discours présenté, le propos et la maturité, sont devenus la norme aujourd'hui. Il faut rappeler le coup de force qu'a été Dieu crée, l'Homme détruit, le comics qui prenait place, initialement, hors du canon, finissant par l'intégrer de force. Reste qu'en se plaçant comme un précurseur, un premier de cordée, God Loves, Man Kills subit aussi les affres du temps, les premiers errements. Car si le comics dont il est question ici a su garder de sa pertinence, force est de constater qu'il s'est éloigné du statut de tome indispensable qu'on tente encore de nous faire croire.