Après le succès de Skyfall, l'annonce d'un nouveau 007 signé Sam Mendes avait de quoi enthousiasmer les foules (si je peux m'appeler "les foules"). Mais deux ans plus tard, Spectre s'avère être moins l'héritier de Skyfall que de l'opus précédent, Quantum of Solace.
Comme Quantum, Spectre souffre d'un scénario branlant, qui se veut actuel mais se montre oubliable, d'un rythme inégal qui laisse la place au bâillement occasionnel et au coup d'œil à la montre pour vérifier où nous en sommes dans ces longues deux heures et quelques, et d'un acteur criminellement sous-exploité dans le rôle du méchant.


L'histoire semble bricolée à la vite. Il est vite établi qu'elle se base sur les révélations Snowden et... c'est tout. Pour un film qui voudrait commenter la propagation de la surveillance illimitée et de la guerre à distance (drones, etc), le commentaire ne vient jamais (à part "L'homme en face de sa cible peut choisir de ne pas tuer", ce qui semble délicieusement hypocrite quand on considère l'historique de ce bon vieux James). Sinon l'identité réelle du méchant ne fait plus de doute depuis l'annonce du titre du film, le "traître" est dévoilé au moment où il apparait à l'écran (et même dès le générique, quand on se rappelle son rôle marquant dans la série Sherlock), et Bond comme le spectateur ne font que se balader de scène d'action en scène d'action, de joli paysage en joli paysage, pour passer le temps (deux heures et quelques, hein) avant la confrontation finale.


Et parlons-en de cette confrontation. Pour en revenir à Quantum of Solace, Christoph Waltz a à peine le droit à plus de temps à l'écran que son prédécesseur Matthieu Amalric, mais, pas de jaloux, il est tout autant gâché dans son rôle de grand méchant. Comme Amalric, son potentiel en tant qu'acteur est énorme, mais il bénéficie en plus d'un personnage mythique (dans l'univers de Bond en tout cas), qu'il était l'un des seuls à pouvoir faire revivre avec éclat. En vain. Passée l'introduction mystérieuse, le personnage n'a pas plus de dimension que James Bond n'a de Contrex dans son frigo. L'idée de le relier rétrospectivement à James semble sortie de nulle part, ou alors d'une bouteille de whisky, et embrouille le scénario, la relation entre le protagoniste et l'antagoniste, et le personnage lui-même qui apparait finalement plus comme un psychopathe mesquin que comme un véritable génie du mal.


Pour compléter le casting, Ralph Fiennes est convaincant en M oldschool (même si Judi Dench se rappelle à notre bon souvenir), Monica Bellucci est là pendant 5 minutes (ce qui est mieux que rien j'imagine), Dave Bautista joue le gorille de service sans distinction particulière (encore un potentiel gâché quand on pense aux Gardiens de la Galaxie), et Léa Seydoux est plus convaincante, et moins exagérément Française, que dans ses précédents blockbusters internationaux (sans atteindre son modèle, Diana Rigg dans Au Service Secret de sa Majesté). Craig himself ressort sa routine de Bond à la fois dur et taquin, ce qui est agréable même si le scénario ne lui laisse pas le loisir d'exprimer pleinement le premier aspect.


On retrouve certes des points communs avec Skyfall, mais pas forcément les plus flatteurs. Comme Skyfall était parsemé de références et symboles liés à l'oposition ancien/nouveau (de façon peu subtile, certes, mais un leitmotiv autre que musical dans un James Bond c'est déjà pas mal), Spectre nous martèle les oreilles avec le thème des yeux. Parce que surveillance, et parce qu'on existe dans le regard de l'autre et par notre propre regard, et parce que s'il n'y a pas de thème ça fait pas classe alors autant en caser un. Autre vétéran de Skyfall, les références au passé de la saga, qui illustraient le thème vieux/jeune mentionné ci-dessus dans Skyfall, mais qui n'arracheront au fan qu'un "tiens, ceci me rappelle cela" dans Spectre. Ce qui fait, heureusement, aussi son retour : la réalisation et la photographie léchées de Sam Mendes (sans le choc original de Skyfall : "C'est moi ou c'est quand même vachement joli pour un James Bond ?"), qui constituent probablement le seul véritable avantage de Spectre sur Quantum of Solace. Il suffit de comparer les scènes d'ouverture : là où Quantum s'ouvrait sur une poursuite frénétique en shaky cam, comme Jason Bourne mais sans l'originalité ni la clarté, Spectre nous offre un long plan-séquence suivant Bond à travers les rues de Mexico.


Je peux sembler avoir complètement détesté ce film, mais c'est surtout la déception d'un fan qui s'exprime. La musique de générique est certes si fade comparée à celle d'Adele, mais le générique lui-même combine le symbolisme outrancier des vieux James Bond et l'ambition graphique des nouveaux. Le scénario est mal rythmé, mais certaines scènes ont leur charme. Mais comme Quantum of Solace ressemble au bâtard malencontreux de James Bond et Jason Bourne, Spectre ressemble au croisement de James Bond et Mission Impossible, sans la jovialité décomplexée dans l'action totale du Rogue Nation d'il y a quelques mois. Spectre se regarde, divertit même, mais on pouvait espérer tellement mieux de Sam Mendes, et du retour de la terrifiante organisation Spectre. Tant pis. Nous nous reverrons bien un jour, Mister Bond.

AraignéeDeMars
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le 12 nov. 2015

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