Quand les gens retrouveraient nos corps calcinés, ils se demanderaient ce qu'on fabriquait ensemble.

Un film qui m’a laissé pensif. D’une part, c’est un véritable film coup de poing que je me suis pris en pleine poire, et il ne laisse pas insensible par son histoire, ses personnages. C’est très viscéral, ça nous prend aux tripes, ça nous les arrache et ça nous laisse contempler le résultat. S’accaparant un sujet fort qu’est le virus du SIDA dans la communauté homosexuelle, à une époque où tout le monde, ou presque, s’en foutait royalement et faisaient l’autruche ; le film réussit là où beaucoup aurait pu échouer. Alors c’est vrai que quand on n’a pas connu cette époque, pourtant pas si lointaine que ça, c’est difficile de se rendre compte à quel point le film vise juste, et à quel point c’était un combat de tous les instants. C’est très intense, et on se laisse porter par le film jusqu’à sa conclusion, dramatique, déchirante et pourtant qu’on sentait venir. Peut-être que de le vivre en direct, nous le montrer en face rend le tout encore plus marquant.


Cependant d’autre part, le film souffre d’un mal malheureusement bien trop fréquent dans le cinéma français dramatique : le rythme. Le film manque cruellement de rythme. L’histoire est intéressante, les scènes sont prenantes, mais le film échoue à lier tout ça en un seul fil continue et palpitant. À chaque nouvelle scène, on a l’impression de recommencer à zéro. Certaines viennent alourdir la dynamique globale du film, ce qui le rend lourd, pesant, parfois laborieux (comme la fin, qui s’étire, s’étire, à n’en plus finir). Autant j’ai beaucoup aimé certains passages où on a une scène qui s’étale sur la durée, presque comme de l’impro, et qui suit la dynamique intrinsèque de cette scène, comme pour le fil de la vie, voir où cela va nous mener. Autant ça ne marche pas à chaque fois, et ça a du mal à se connecter avec le reste du film.


Je ne sais pas si c’est lié à la façon dont on a d’écrire nos scénarios, de les mettre en scène, de les monter ; mais c’est quelque chose de récurrent dans le cinéma français dans les films dramatiques, et une des raisons pour lesquelles j’ai toujours autant de mal à m’y plonger. Et ça m’ennuie que ça ressorte dans ce genre de film, parce qu’ils ont tellement de bons éléments dans leur scénario, leur intrigue, leurs personnages, c’est presque rageant de ne pas réussir à mettre ça en action convenablement. Arrêtez de faire du théâtre bon sang !


Le casting est admirable. Je pense notamment à Nahuel Pérez Biscayart, qui est bluffant dans chacune de ses scènes et porte le film avec merveille. Il n’est pas le seul bien sûr, mais il est celui qui ressort le plus dans l’ensemble. Arnaud Valois est lui aussi très bon, et j’ai beaucoup aimé la mécanique qui s’installe entre eux au cours du film. C’est très naturel, progressif, et pourtant on ressent toute la passion qui les anime, l’intensité avec laquelle ils vivent leurs derniers instants. Ce sont typiquement les deux qui sortent du lot, après le reste du casting est un poil en retrait par rapport à eux, mais aussi bon dans l’ensemble.


Techniquement, y’a des haut et des bas. Encore une fois, la quasi-absence de musique (et l’utilisation d’une bande son de façon sporadique) plombe un peu le film parfois. Sans doute dans une volonté d’être plus réaliste et moins mélodramatique, cela crée une ambiance parfois oppressante. Ça renforce le coup de poing qu’on se prend dans la poire, mais certaines scènes auraient à y gagner d’avoir plus de mélo, pour aider le spectateur à s’investir. Car là, à plusieurs reprises, on a une sorte de froideur clinique dans la façon dont est abordé le film. Rien à redire à la mise en scène, qui fait son taff correctement du début à la fin. Comme je l’ai déjà dit, j’ai beaucoup aimé certaines idées, et elle sait quand nous agripper à la gorge.


Bref, un film coup de poing. Il suffit de regarder dix minutes pour comprendre que les récompenses sont largement méritées, même s’il souffre des mêmes défauts que bons nombres de films français similaires. Néanmoins, cela le rend en un sens plus brutal et, compte tenu du sujet, c’est peut-être ce qu’il y avait de mieux à faire. Je ne le conseillerai pas forcément à tout public, car il faut être préparé quand même pour ce genre de film.

vive_le_ciné
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Au sommaire de ce cru 2018

Créée

le 10 nov. 2018

Critique lue 194 fois

vive_le_ciné

Écrit par

Critique lue 194 fois

D'autres avis sur 120 battements par minute

120 battements par minute
Behind_the_Mask
2

Entends-tu mon pote cette envie de révolte ?

A l'origine, ce modeste billet devait vous causer de Nés en Chine. Devait... Car manque de bol, après une demi-heure de route, j'apprends que l'exploitant du cinéma n'a pas eu la copie du film Disney...

le 23 sept. 2017

68 j'aime

50

120 battements par minute
Fritz_Langueur
10

Sean, Nathan, Sophie et les autres...

Qu’il est difficile d’appréhender un avis sur une œuvre dont la fiction se mêle aux souvenirs de mon propre vécu, où une situation, quelques mots ou bien encore des personnages semblent tout droit...

le 24 août 2017

56 j'aime

10

120 battements par minute
SanFelice
8

"Moi, dans la vie, je suis juste séropo"

D'habitude, j'ai un certain esprit de contrariété. Dès qu'un film fait l'unanimité, je me méfie. D'un certain côté, je préfère de très loin un art qui tranche vivement, qui prend des risques, quitte...

le 21 déc. 2017

50 j'aime

Du même critique

Sale temps à l'hôtel El Royale
vive_le_ciné
8

I’m guessing church pays as much as a keno lounge?

Je me suis régalé pendant ce film. Typiquement un thriller à énigme basée sur une ambiance comme je les aimes. Suivant plusieurs fils rouges dans un huit clos mené de main de maître, mais se...

le 23 oct. 2018

10 j'aime

2

Independence Day : Resurgence
vive_le_ciné
3

Time to kick some serious Emmerich ass

Il y a 20 ans, sortait sur nos écran un film intitulé Independence Day. Film très moyen mais extrêmement divertissant et assumant son côté pro-américain jusqu’au bout de la pellicule, il fera marque...

le 3 juil. 2016

8 j'aime

2

La Ligue des Justiciers : Dieux & Monstres
vive_le_ciné
7

Do you want save the world or do you want to rule it?

Une étonnante bonne surprise. Je m’attendais à voir quelque chose dans le genre de l’arc L’autre Terre ou en relation avec Earth-3 ; mais au final non, on a droit à une histoire complètement...

le 19 oct. 2015

8 j'aime

1