Tout le monde le sait bien (enfin je crois), un bon sujet ne fait pas forcément un bon film. Rassurez-vous, « 120 battements par minute » fait honneur au combat de ces personnes qui ont consacré leur vie à cette cause. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’important travail d’écriture qui a été effectué : la veine militante est très réaliste. Les réunions hebdomadaires sont incroyablement vivantes et surtout relatent absolument tous les points de vue. Si le film est engagé, il ne cherche cependant pas à privilégier un point de vue plus qu’un autre. Au contraire ! Les échanges se multiplient entre chaos et respect de la parole, décisions et contradictions, solidarité et colère, actions jugées constructives ou stériles… Campillo ne juge pas et laisse le spectateur se faire littéralement happer par les arguments. D’un personnage à un autre, notre regard est toujours susceptible de changer, ce qui est le cas par exemple lors de la première intervention musclée au début du long-métrage.
Alors que certains réalisateurs pourraient prendre une tonalité funéraire ou austère, Campillo choisit plutôt de faire éclater la vie à chaque instant. C’est un tourbillon de sentiments qui nous emporte, accompagnant certains des militants dans les différentes phases de la maladie et dans la manière dont ils le ressentent. Jamais de pathos ou de mièvrerie, on dévoile des femmes et des hommes vivant avec dignité. C’est tout simplement le mouvement de la vie qui est maintenu coûte que coûte, le Sida ne terrassant jamais l’amour ou la joie. Ces instants de fête, d’intimité et de révolte sont captés avec subtilité par le cinéaste. La caméra s’efface comme dans un documentaire sans oublier parfois quelques plans amples encadrant avec ferveur les actions. La narration est très dynamique, on ne sent franchement pas les 2h20. Quelque chose d’enivrant se dégage, chaque lendemain pouvant être le dernier.
Le film est très adroit dans son équilibre de l’émotion et de la rigueur historique. Il y a une description assez minutieuse d’Act Up-Paris sans pour autant sombrer dans l’héroïsme primaire. Le facteur humain est toujours présent, faisant bien prendre du recul sur l’évolution des actions. La partie documentation sur la recherche scientifique est d’ailleurs assez pertinente, montrant bien ainsi une démarche intellectuelle, centrée sur la façon de faire de l’association. Une scène d’intervention dans un lycée pour informer les jeunes sur l’utilisation du préservatif fait froid dans le dos : on se rend compte à quel point les pouvoirs publics étaient aveugles, insouciants, incompétents à l’époque.
« 120 battements par minute », c’est également la tragique histoire d’amour entre le beau et tendre Nathan face à Sean combattant quotidiennement son propre désespoir. Les deux protagonistes se réservent certaines des plus belles scènes du film, notamment celle où Nathan donne du plaisir à son amant cloué dans un lit d’hôpital, à un stade sérieusement avancé du virus. Magnifique moment où Éros et Thanatos n’ont jamais été aussi intimement liés. Le Sida n’est pas seulement qu’une douleur physique, il fait jaillir également celle de la solitude, de l’abandon qu’ont pu ressentir certaines victimes. L’association se défend d’être un soutien aux malades et pourtant il y a ce ciment invisible qui fédère le groupe. Un constant fort qui culmine à la fin où cet amour personnel se généralise.
« 120 battements par minute » frappe fort et juste. C’est un vrai moment de cinéma naviguant entre réalité scandaleuse et aventure humaine inoubliable. S’il est vrai que le cinéma français s’affiche rarement au sommet du panier, le film de Robin Campillo donne tort à cet adage et démontre que notre pays peut toujours proposer des œuvres galvanisantes. De nombreuses images imprègnent la rétine et font ressurgir la nécessité de se battre pour ses convictions à une époque où les consciences semblent s’endormir dans un contexte pour le moins morose. Des revendications qui touchent tout le monde avec un l’écho intemporel.