Suffit il de dire que l'esclavage c'est mal pour faire un film intelligent ?

L’Amérique n’a plus peur d’affronter ses vieux démons, en tout cas au cinéma à travers des films qui traitent désormais sans détour de l’esclavage et de la ségrégation qui en a découlé. Il ne faut pas oublier ses racines. D’autant que les États Unis, aussi pionniers en terme de démocratie fut ils, ont tout même bâti leur immense territoire sur les cendres des Indiens et fait fructifié leur économie par l’esclavagisme. Il était temps d’en parler, l’ère de la propagande propre aux pays occidentaux après la Seconde Guerre Mondiale est terminée. Non les Indiens n’étaient pas les plus méchants, non le général Custer n’est pas la légende qu’on a longtemps idéalisé, oui la ségrégation est encore la plaie qui fracture la société américaine.

12 Years A Slave tombe donc à point sur un terrain sondé depuis quelque temps après La Couleur des Sentiments (pour la ménagère), Lincoln (pour les intellos) et Django Unchained (pour les cinéphiles). Méga succès aux Etats Unis, le troisième film de Steve McQueen deuxième du nom, rafle un Golden Globe et ne devrait pas repartir bredouille des Oscars. Suffisamment pour que l’amateur de cinéma s’en méfie. Pas de chance, les signes ne trompent pas, 12 Years A Slave est un bout de l’Histoire américaine à l’attention du grand public américain avant tout.

Salomon Northup est un homme libre. Jusqu’au jour où il se fait kidnapper puis vendre comme esclave dans le Sud des États Unis. Inspiré d’une histoire vraie, il va tenter de survivre et toujours croire en la possibilité de retrouver la liberté.

Une fois n’est pas coutume (quoique), le réalisateur nous lâche directement dans un moment que nous dirons intime. Bah oui, c’est tellement logique de commencer un film sur l’esclavage là dessus ! Mais ce n’est pas tout, à peine installé, on cherche à nous arracher des sentiments au regard de la gamelle peu garnie de ce cher Salomon… On ne connait encore rien de l’élémentaire "Qui ? Quoi ? Où ? Comment ?" qu’on veut déjà nous faire pleurer. On va d’ailleurs voir par la suite que ce QQOC va encore poser problème.

L’introduction terminée, on retrouve Salomon qui est un Noir libre et fortuné vivant dans le Nord des États Unis, vingt ans avant la fratricide Guerre de Sécession. Monsieur est heureux avec madame et ses enfants, mais ceux ci doivent s’absenter quelques temps. En sa baladant, il fait la rencontre de deux hommes qui lui proposent de venir jouer du violon dans leur cirque. Il accepte et une soirée arrosé va mettre fin à ses rêves. Il s’est fait bananer complet au point de se retrouver enchainé dans une cellule sombre le lendemain matin. Pire gueule de bois tu meurs !

A mon grand regret, sa situation d’homme noir libre n’est pas traité. On ne sais pas pourquoi ni comment il a grimpé les échelons dans un pays alors profondément raciste. Du jour au lendemain, il passe de "tout le monde l’aime et ne fait pas attention à ce détail" (d’une importance considérable pour l’époque) à moins que rien. Ce problème de profondeur empêche de donner un enjeu au film. C’est comme cela jusqu’à la fin, on nous montre beaucoup de choses mais on ne voit rien. Certaines scènes sont très dures à encaisser et s’éloignent largement du préjugé "film académique" que je pensais voir. Tortures physiques et morales envers des hommes et des femmes traités d’une façon pire qu’ignoble. Le film réussit son objectif de choquer mais oublie le principal: NOUS FAIRE RÉFLÉCHIR. Finalement, on assiste qu’à une suite d’événements qui nous font conclure que l’esclavage c’est mal. Mais ça on le savais déjà !

En supprimant tout point de repère temporel, le réalisateur a voulu montrer que l’esclave ne cherche même plus à compter sa labeur. Il survit tant bien que mal dans un monde qui n’a plus de sens pour lui. Ainsi, on ne voit pas le temps passer à l’écran: si le titre était 2 Months A Slave, cela aurait été pareil !! Douze années racontées dans une ellipse bizarre où tout semble se passer dans une période de temps réduite et qui n’empêche en rien de parfois s’ennuyer. Une critique évidente lors des plans fixes interminables.

12 Years A Slave se compose d’un superbe casting. Chiwetel Ejifor joue à merveille un rôle très compliqué. Il n’en fait pas trop et son visage très expressif permet de comprendre les émotions de l’homme sans même qu’il ne prononce un mot. Fassbender est effrayant dans son rôle du propriétaire terrien détraqué, je suis persuadé que cet acteur devrait avoir l’occasion de jouer plus souvent des "vilains". Derrière, encore de beaux noms que sont Benedict Cumberbatch ou Paul Dano. Ainsi rien à dire sur le plan du casting, c’est très très bon sauf peut être…
Brad Pitt ! Tombé comme un cheveu sur la soupe, c’est son personnage qui décante un film qui aurait pu nous montrer les mêmes choses des heures et des heures encore. Je suspecte très fortement sa présence au casting par le fait qu’il est producteur du film et bien évidemment pour gagner quelques entrées supplémentaires. Son personnage est un canadien à l’accent totalement abusé qui semble faire de l’interim dans le bâtiment à travers les States. Et encore, je suppute sur son métier ! Parce que ce mec, qui arrive d’on ne sais où, on ne sais pourquoi devient la clé du dénouement du film. Ce n’est pas le seul car Salomon fait la rencontre d’un blanc travaillant avec les esclaves dont la présence à l’écran ne dure pas plus de 5 minutes (après, on ne le voit plus jamais !), et pourtant c’est un moment fort du film.

Vide de sens, 12 Years A Slave ne nous donne ni une leçon d’Histoire ni une leçon morale. Là on nos attentes étaient nombreuses car il y avait de quoi dire sur le sujet, le réalisateur se contente de nous montrer la cruauté immonde de l’esclavage. C’est tout. Les images sont belles, les acteurs sont parfaits mais Steve McQueen 2 a vraisemblablement pris l’expression "donner un coup de fouet" trop au premier degré. Le constat est sans équivoque, Django Unchained reste la référence. Mais, aussi bon soit il, n’est ce pas triste de voir un tel film être la pierre angulaire du genre ? C’est comme si Inglorious Basterds était LE film sur la Seconde Guerre Mondiale. Les bons sentiments ne font pas tout, la personne un temps soit peu avertie sortira déçue d’un film aussi creux que dur. En soit, un film très américain dans son propos et dans sa forme. La lecture du livre du véritable Salomon Northup est sans doute beaucoup plus enrichissante.
ZéroZéroCed
5
Écrit par

Créée

le 28 févr. 2014

Critique lue 352 fois

ZéroZéroCed

Écrit par

Critique lue 352 fois

D'autres avis sur 12 Years a Slave

12 Years a Slave
Eren
4

Kid...napping !

L'académisme apparent de ce film est une énigme et une évidence à la fois. McQueen accouche d'une mise en scène aussi louable que discutable. Il déploie également un casting palliant le masque de ses...

Par

le 20 févr. 2014

81 j'aime

13

12 Years a Slave
guyness
4

Soupires en pire

A l’angle de la Canebière et de la rue Vincent Scotto (qui donne sur Belsunce), au numéro 37, trône les lettres fluos du cinéma "Variétés". Le patron du cinéma traine une réputation peu reluisante...

le 16 févr. 2014

79 j'aime

59

12 Years a Slave
Hypérion
4

L'argument "Based on a true story" ça ne suffit pas.

Quoique @Before-Sunrise aie d'ors et déjà dit l'essentiel de ce que j'aurais pu gribouiller sur 12 years a slave, je vais me fendre de quelques lignes parce que bon, un oscar de meilleur film pour...

le 3 mars 2014

77 j'aime

20

Du même critique

High Life
ZéroZéroCed
2

Trous noirs

Après plus de 6 000 jours dans l'espace à manger vegan, on commence à être frustré et aussi à avoir envie de baiser. Ce pitch est un bel hommage à ce que le cinéma de genre français peut faire de...

le 23 oct. 2018

30 j'aime

2

Le Crime de l'Orient-Express
ZéroZéroCed
3

Tarte au Poirot

Énième adaptation du classique d’Agatha Christie, le Crime de l’Orient-Express 2017 se cantonne dans un académisme somnolant alors que son casting hollywoodien augurait une relecture du mythe Hercule...

le 21 déc. 2017

16 j'aime

1

La Cravate
ZéroZéroCed
8

La cravache

Projet long et compliqué à financer, Le Cravate n'en demeure pas moins un documentaire indispensable à la compréhension sociale et politique de notre pays. D'abord, c'est le portrait d'un jeune...

le 13 nov. 2022

9 j'aime

2