Après les cicatrices corporelles de Bobby Sands, après l’addiction déshumanisante de Brandon jeune homme d’affaire new yorkais, Steve Mcqueen pose son regard sur Solomon Northup, homme noir au talent de violoniste indéniable, qui après avoir été manipulé par des hommes peu scrupuleux, passe d’individu libre à esclaves de négriers. 12 years a slave n’est pas qu’un simple film sur l’esclavagisme mettant l’Amérique face à ses propres démons. Dans le combat d’une communauté qui se bat pour exister, Steve Mcqueen parle du parcours d’un homme qui cherche sa liberté, entre peur de mourir et espoir de vivre. Il est impossible de parler du film sans mentionner la prestation impressionnante de Chiwetel Ejiofor, nous faisant passer par toutes les émotions, comme lorsqu’il chante et hurle en l’hommage de l’un de ses compères esclaves. L’œuvre du réalisateur britannique semble froide, donnant parfois l’image d’un film qui se concentre surtout sur sa qualité plastique éblouissante.


Mais comme dans ses deux précédentes œuvres, on retrouve cette densité dans le propos, cette volonté de dévoiler ce combat universel par le biais de l’intime. Doit-il se révolter, accepter sa condition d’esclave, ou seulement survivre au lieu de vivre, doit-il penser à lui ou aux autres, tout un questionnement personnel, tout un cheminement vital, qui l’immisce de plus en plus dans l’enfer d’une société négrière qui n’aura jamais raison de l’espoir qui l’habite. Cet espoir sera mis à contribution car Steve Mcqueen bat le fer alors qu’il est encore chaud, et propose une œuvre esthétique, physique, doloriste, qui ne se cache pas derrière des pirouettes pour montrer l’insoutenable.


Le réalisateur apporte un soin tout particulier à sa réalisation avec une photographie somptueuse, captant la lumière comme jamais, mélangeant séquences d’une puissance physique et psychologique terrassante à des moments plus légers, plus contemplatifs, plus naturalistes. Il joue franc jeu, les champs de cotons embrasent la peau, les coups de fouets brûlent la chair, les cris sont déchirants, les cordes étranglent l’âme avec une violence non dissimulée, comme durant cette longue scène de pendaison ou cette abominable séquence de tortures de la jeune Patsey.


Comme dans Shame, comme dans Hunger, Steve Mcqueen filme son univers désenchanté, sans presque aucune voie de secours, comme vision crépusculaire de l’enfer. Dans le cinéma de Mcqueen il y a toujours cette volonté de mettre en avant ce sentiment de liberté, cette volonté d’être confronter à ses choix, ce libre arbitre qui fait de nous des hommes, comme durant ce moment où la jeune et fragile Patsey lui demande de la tuer pour la libérer du calvaire que lui fait endurer Edwin Epps. Dans Hunger, Sands était un prisonnier politique, dans Shame Brandon était prisonnier de son besoin maladif et vital de jouissance, là Solomon est prisonnier de la malveillance et de la haine de l’homme. Il est toujours sur le qui-vive.


12 years a slave ne joue pas la carte de la dénonciation pure et dure, ni de la posture, mais crée une œuvre dure, parfois outrancière avec des négriers hystériques (Fassbender ou Paul Dano), mais toujours juste, au script attendu mais jamais prévisible. 12 years a slave ne fait pas seulement que confronter la souffrance des uns à la méchanceté sordide des autres. L’enjeu est encore plus grand et Mcqueen en fait une bataille de l’homme face à dieu et à ses péchés, où la justice et le pardon auront du mal à s’extirper de toute cette cruauté. Et c'est dans ce sens là, que le personnage incroyablement joué par Michael Fassbender est terriblement bien écrit. Au lieu d'apparaitre sous le jour d'un négrier violent comme un autre, on y voit un esclavagiste imbibé d'alcool et complètement désarçonné par ses valeurs bibliques et religieuses qui sont mises à l'épreuve par son amour naissant et pulsionnel pour une jeune "reine des cotons".


Cela a le mérite de décaler le film de son carcan esclavagiste, pour dévoiler un film ambigu, humaniste et non manichéen, parlant de sujet tout aussi dur tel que la relation homme/femme. L’esclavage est un thème déjà utilisé jusqu’à sa moelle par le cinéma mais le talent de Mcqueen permet à 12 years a slave d’être un film atypique, frontal et déchirant. A l’image de cette scène finale, tant attendue, mais qui fait alors resurgir une émotion qui ne demandait qu’à exploser.

Velvetman
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le 12 mai 2015

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Velvetman

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