Autant l'avouer tout net : en allant voir 12 Years a Slave, unanimement encensé par la critique et fraîchement auréolé de l'Oscar du meilleur film, je m'attendais clairement à voir un "film à Oscars", dans la plus pure tradition du Discours d'un Roi, à la réalisation impeccable mais classique et augmenté d'une bonne dose de bons sentiments hollywoodiens. Surtout quand on connaît le sujet dudit film... Mais juste avant d'entrer en salle, je note un détail (qui est loin d'en être un, honte à moi) qui m'avait jusque là échappé: le nom du réalisateur. Je ne connais Steve McQueen deuxième du nom que par un de ses 3 films, Hunger, qui m'avait fortement dérouté par ses plans parfois d'une longueur infernale et d'une manière générale par l'atmosphère très spéciale et le traitement tout aussi spécial de son sujet. J'ai donc été saisi d'un doute, lourdement confirmé, et pour mon plus grand bonheur, par la suite des événements.
Il y avait moyen qu'il traite ça un peu différemment de ce à quoi on pourrait s'attendre, et selon moi, il l'a fait. Honnêtement, un film aussi long (n'en déduisez pas que je lui reproche sa durée, bien au contraire !) qui passe aussi peu de temps sur les détails "annexes" de l'histoire (les circonstances de l'enlèvement puis les retrouvailles avec sa famille, traitées d'ailleurs avec beaucoup de justesse et de retenue, une merveille à mon sens) et s'attache au cœur de son sujet, la réalité brute et objective de l'esclavage, sans la surcouche de sentimentalité qui caractérise souvent les productions hollywoodiennes et en particulier sur ce sujet, un tel film a forcé mon respect. Le réalisateur évite partiellement le manichéisme qui guette fatalement toute personne se penchant sur ce sujet, et j'ai particulièrement apprécié l'évocation de l'ambiguïté des rapports maître-esclave, dont le traitement m'a toutefois semblé un peu trop superficiel.
J'ai retrouvé les particularités de McQueen, notamment dans quelques plans assez longs dont on peut légitimement nourrir quelques doutes quant à leur utilité, mais aussi dans sa façon d'évoquer des situations ou des sentiments par des images indirectes d'une rare violence et d'une rare efficacité, à l'image de ces roues à aube qui emmènent le héros vers sa ruine avec l'implacable régularité de la machine à vapeur.

Je considère néanmoins que ce film est loin d'être exempt de défauts. Le personnage du dernier propriétaire sudiste de Solomon, bien que parfaitement composé par un Fassbender que j'apprécie toujours autant, me semble justement un peu trop théâtralisé, comme si l'absurdité du traitement qu'il impose à ses esclaves rejaillissait sur sa personnalité torturée. Il n'était pas nécessaire d'être fou pour traiter des êtres humains d'une folle manière. Dans le même ordre d'idées, je trouve que l'abolitionniste canadien arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, et surtout sort une dithyrambe qui me semble pour le moins osée au vu de l'époque et de l'endroit. Il prend en outre une décision qui engage apparemment sa propre vie en quelques secondes, et disparaît aussi sec, comme il était venu. Tout ça pour dire que je trouve son apparition divine et son intervention salvatrice assez déroutantes, pour ne pas dire faciles. J'ai bien conscience qu'il ne s'agit pas du sujet du film mais tout de même, je ne voudrais pas m'avancer mais on sent qu'on a coupé dans le gras au montage.

J'ai hésité à placer la bande originale dans la catégorie qualités, car elle offre deux caractéristiques indispensables à tout BO : un thème principal des plus adaptés et agréable à l'oreille, bien que très classique, et plusieurs passages parfaitement en adéquation avec les scènes qu'ils accompagnent.
Cependant, on ne retiendra qu'un seul et unique thème, d'autant que la musique m'a semblé s'effacer un peu trop souvent à mon goût, ce qui fait qu'il ne s'agit que d'une semi-satisfaction. Hans, on t'a connu plus en verve, mais également moins discret et moins subtil. Honnêtement, je n'aurais pas parié sur lui comme compositeur de la BO, et j'ai été surpris en découvrant son nom au générique.

Quelle conclusion apporter à cette critique ? Je suis encore sous l'influence de mon visionnage récent, mais l'impression que j'ai eue en sortant de la séance a été de me dire que ce film valait son Oscar (et Lupita Nyong'o mérite grandement le sien), non de manière évidente (du fait de son thème, de la présence d'un réalisateur noir...) mais par le traitement du sujet choisi par son réalisateur. Autant certains meilleurs films de ces dernières années (qui a parlé des Oscars 2013 ?) m'ont clairement fait tiquer, autant celui-ci, s'il n'a pas été, et de loin, ma meilleure expérience cinématographique récente, le mérite.
lavoisier
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le 4 mars 2014

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