« Inconstante », tel est le mot qui pourrait décrire au mieux la carrière de Ridley Scott ; capable d’éclairs de génie faisant date (Alien, Blade Runner et dans une moindre mesure Gladiator) que l’on oppose fréquemment à ses autres réalisations ; beaucoup plus mineures, à la limite du passable (l’adjectif « médiocre » étant le plus approprié pour certaines). Reste que c’est un grand cinéaste et, bien avant la sortie des deux chef-d’œuvres cités plus haut, il s’était déjà illustré dans le genre complexe qu’est le film historique avec Les Duellistes – acclamé par la critique.


En 1992, il récidive à l’occasion du 500ième anniversaire de la découverte du continent américain avec un projet cinématographique porteur d’une grande ambition : raconter la vie – pour la moins tourmentée – d'un des plus célèbres explorateurs de l'Histoire, Christophe Colomb. À l’instar des célébrations relatives au bicentenaire de la Révolution française, les moyens alloués sont conséquents avec un budget issu d’une collaboration totalement européenne ; franco-hispano-britannique. Surtout, le casting retenu fut de premier choix avec les deux figures de proue que représentaient un Gérard Depardieu alors au sommet de son art et une Sigourney Weaver – que l’on ne voit que très peu finalement – mondialement connue depuis ses péripéties au sein du Nostromo. Toutes les conditions étaient réunies pour faire de l’œuvre une grande épopée animée par le talent et la vision d’un cinéaste hors-pair (en dépit de cette absence de régularité évoquée plus haut). Malheureusement, le résultat final est plus nuancé et en deçà de ce que l’on pouvait attendre au vu des ambitions affichées.


Loin de se limiter à une adaptation bête et simpliste d’une partie de la vie de Colomb, le film joue la carte de l’humanisme en le décrivant comme un homme rêveur, visionnaire et utopiste, à la recherche d’un monde idéal où l’égalité serait le principe dominant (un portrait bien évidemment éloigné de ce que fut réellement le personnage) ; par opposition à la société européenne de l’époque, très hiérarchisée et peu ouverte d’esprit. De fait, rien d’incohérent à écouter cet idéaliste exposer ses idées subversives au détour d’une scène pour le voir, peu de temps après, déambuler dans les rues d’une ville en pleine procession et en proie à l’inquisition. Le contexte est en effet celui d’une Espagne venant d’achever la Reconquista et qui, en toute logique, entame son propre processus de re-christianisation (caractérisé par des exécutions pour hérésie ou encore par la destruction de symboles religieux musulmans (des séquences pleines de symbolisme mais un peu redondantes et pas forcément subtiles)). En parallèle et sous l’impulsion de Isabelle 1ere, le pays souhaite se tourner davantage vers l’extérieur. La découverte d'une nouvelle route vers les Indes permettrait de s'affranchir des intermédiaires orientaux coûteux et serait donc bénéfique d’un point de vue économique. C’est en insistant sur ce bienfait que l’explorateur – après moult railleries – soumet son projet à la reine qui, contre toute attente, accepte de financer l’expédition. L’aventure avec un grand A peut donc démarrer… ou pas.


Mon principal grief à l’encontre du film concerne son manque de souffle ; à aucun moment je n’ai ressenti une quelconque dimension épique ni le moindre frisson alors que nous parlons quand même de ce qui est sans doute la découverte territoriale la plus importante de l’histoire de l’humanité. La traversée de l’océan Atlantique est, à ce titre, éloquente. En dépit de la magnifique partition de Vangelis accompagnant ce passage fondamental (et le restant de l’aventure), nous pouvons dire que son traitement reste assez superficiel. On le sait, le véritable voyage ne fut pas un long fleuve tranquille : perte de confiance de l’équipage, mutineries fréquentes, insubordinations… Ici, ce grand moment de navigation et sa complexité sont vites expédiés à travers une courte séquence d’une dizaine de minutes où le groupe de marins, après avoir exprimé quelques réticences vis-à-vis de Colomb et son projet, se voit très vite rassuré par ce dernier et rentre aussitôt dans le droit chemin. Sans doute le principal intéressé aurait-il apprécié que les choses se soient déroulées de façon aussi simple. Par ailleurs, les scènes relatives à la découverte des terres du Nouveau Monde et au débarquement de l’expédition, bien que très belles et tournées dans un cadre naturel rêvé (les décors du film sont dans leur grande majorité de toute beauté), se voient plombées par une utilisation répétée de ralentis qui contribuent à donner un aspect « too much » à ce qui constitue, sans doute, le moment le plus important de l’aventure. La seconde partie du récit – qui se focalise essentiellement sur la (veine) tentative de bâtir une société nouvelle mêlant indiens et européens – souffre de passages un peu longuets que peinent à éclipser les quelques coups d’éclats inhérents à celle-ci. On s’ennuie un peu, pour rester poli.


Heureusement, tout n’est pas à jeter. Le casting tient plutôt bien la route avec, notamment, un Gérard Depardieu assez bon dans le rôle principal (malgré une attitude un peu trop théâtrale, sans doute héritée d’un Cyrano de Bergerac encore récent) ; Sigourney Weaver, quant à elle, confirme son statut de grande actrice le temps des quelques scènes où elle nous gratifie de ses apparitions. Outre cette indéniable qualité, la grande réussite du film tient selon moi à la reconstitution déployée pour proposer un univers à la fois cohérent, riche et surtout immersif : en témoigne les caravelles construites pour l’occasion ou encore le soin accordé au maquillage et aux tenues.


Sans doute dépassé par l’ampleur du projet – assez casse-gueule il faut le dire –, Ridley Scott nous livre une production en demi-teinte manquant de fond mais à l’enrobage assez plaisant ; que j’assimilerai plus à un téléfilm de luxe qu’à une véritable œuvre de sa filmographie. Ça se laisse regarder sans déplaisir mais nous étions tellement en droit d’en attendre plus…

Lokles
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le 6 juil. 2019

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