Le cinéma américain a toujours été affaire de géographie. Les westerns rejouaient la conquête de l’Amérique, de l’Atlantique au Pacifique. Pour les cow-boys, les colons, les rocheuses, les rivières, les déserts du sud, les neiges du nord étaient des barrières à franchir. Chaque terre sauvage devait être transformée en parcelle. La jeune nation américaine, avec les westerns, rejouait son histoire et se l’appropriait. Ce n’était pas des films, le cinéma écrivait le roman national. Bref, elle est constitutive du cinéma américain.
Depuis une dizaine d’années, il réinvestit son sud. Le sud profond que l’on voyait dans les westerns et les romans de Kerouak. Avec Mud ou Killer Joe, c’est une terre rude et rustre de désert où la misère fait rage, où la violence est mêlée à la poussière. Plus on s’enfonce dans les zones arides, plus la vieille Amérique ressort. Les rednek y sont cachés, mais bien présents. Mais, c’est aussi une terre meurtrie par Catherina, réenchantée par les 1 mètre 10 du gosse des bêtes du sud sauvage. Fantasmant un bayou de clochard céleste qui entrechoque Afro-Américain, musique irlandaise, et bestiole mythologique. Parallèlement à ce tropisme sudiste, le cinéma américain est une affaire de géographie en tout point. Les artys new-yorkais s’opposent à l’industrie de Los Angeles… Le cinéma américain est à l’image de son pays, il a des états, il n’a pas de centre.


"Géographie Française"
À l’instar du Sud des U.S.A, le sud de la France aussi devient, ces dernières années, une terre cinématographique.
Sous l’impulsion de trois cinéastes, dont une paire, donc deux cinématographies, les frères Larrieu et Alain Guiraudie, le sud-ouest investi le cinéma français. Dans un premier temps, on remarque qu’ils contribuent à l’image Epinal d’une terre paillarde et conviviale. On ne compte pas les scènes de grande tablée, ou les dialogues incompréhensibles pour cause d’accent trop prononcé.
Mais après, pourquoi diable est-ce aussi devenu le lieu du sexe décomplexé et de la partouze assumée ? Ce qui est surprenant, c’est qu’il n’est pas porté par un auteur, mais par des auteurs. Par exemple, pour le nord, Dumont fait coïncider la misère sociale de la région avec une mystique, mais il est seul. Et ça lui convient très bien, il peut se la péter comme ça.
C’est peut-être une coïncidence, mais rien, avant les films de Guiraudie et des Larrieu, ne laissait présager ça. Si le Sud de la France avait une image sexuelle, c’était la Côte d’Azur. Les clubs, Saint Trop, le fric, la frime, les yachts, la coke, le champagne, les seins siliconés, la drogue, les ritals, les pavillons maltais, les piscines, l’argent sale, la night, les mercedes, les casinos, les putes, la french connection, les touristes, la gomina sur les cheveux mi-longs, Bernard Tapie, Plus belle la vie… Il y a un intrus. Les faits divers, comme ceux du Negresco, ne peuvent exister dès que l’on dépasse Perpignan. Bref, le sexe et le sud-ouest, c’est une construction purement cinématographique.
Le sexe dans le sud-ouest n’est pas sulfureux. Les filles ne draguent pas, ne charment pas, elles proposent… Il y a quelque chose d’hippie dans la manière de le présenter. Décomplexé, à la fraîche décontractée du gland … Le sexe débridé au fin fond des pyrènes serait le fruit de l’isolement. Un micro climat dans une vallée entre pics et falaises. Un truc mal indiqué sur la carte.


"Mais diable pourquoi est le lieu de la partouze endiablé? Conjecturons."
La géographie dans le cinéma français se fait en réaction à son centre. Comme on dit avec un brin de mépris, il y a Paris et la Province. Alors, ce serait comme une résistance à la pudibonderie et au politiquement correct de l’époque. Dans la France métropolitaine, les régions les plus éloignées du centre parisien sont restées à l’abri des usages, protégées par de solides montagnes. Le piment d’Espelette et la chistera absoute le sexe du pêché originel catholique. C’est un lieu athée où la pomme fut croquée sans que l’on en éprouve le besoin de faire un bouquin. Les tétons floutés de facebook sont hors de propos, on ne parle pas du même monde. C’est la réunion de païen et paillard.


"L'orchestration des désirs"
21 nuits avec Pattie, le nouveau film des frères Larrieu, matérialise ces deux mondes par ses personnages féminins. Caroline, jeune femme qui a perdu le désir vient dans un coin perdu du sud-ouest pour enterrer sa mère. Elle rencontre Pattie, la femme de ménage. Pattie baise à tire-larigot et raconte tout illico avec un vocabulaire précis et jubilatoire.
C’est la citadine avec un col Claudine et la campagnarde avec un décolleté. Les cinéastes n’organisent pas la supériorité de l’une sur l’autre. Isabelle Carré y est comme en cure thermale. Elle va prendre une bonne bouffée d’air frais et de désir.
Dans cette envie de se soustraire à la société parisienne, ils abattent le rapport à la beauté. L’ahuri du village avec un physique peu commode et un grave problème d’élocution pécho grave. Pattie, quant à elle, est incarnée par Karine Viard qui est loin d’être l’actrice qui a le plus de sexe appel. Elle est madame tout le monde. Quand on a envie de tabler les entrées d’un film sur la scène de sexe de la bande-annonce, on ne prend pas Karine Viard. On prend Virginie Efira ou même Ludivine Saignier. Mais non, elles ne sont pas sexy cassoulet. Pour elles, on leur filera des billets direction monac et un bikini fluo chacune.
Parallèlement, les frères Larrieu ont un défit de mise en scène. Faire naître le désir chez Caroline en même temps que le crescendo monte dans le corps du spectateur.
Pour cela, ils l’entourent d’un curieux mélange d’érotisme et de mort. La nécrophilie...


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Limaginarium
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le 1 mars 2016

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