Produit culturel sur mesure pour France déliquescente.

Je n'aime pas faire dans le réactionnaire : cela est bien trop loin de mes convictions profondes. Mais même l'altermondialiste le plus chevronné, ou l'humaniste le plus béat, ne pourrait garder sa foi en l'Humanité en regardant un étron d'une telle ampleur. J'ai bien réfléchi, et de mémoire d'homme, même après les repas les plus gras et dans les chaleurs les plus extrêmes, je n'avais osé pondre de moi même des excréments pareils. Plus j'y pense, et plus ai-je la sensation d'avoir vécu une forme d'expérience méta-cinématographique particulière. Nous sommes un vendredi soir, la France est endeuillée d'un attentat d'une rare horreur et la crise du coronavirus semble tout à coup refaire surface. Pourtant, la salle est étrangement pleine. Des familles et des bandes d'adolescents plus ou moins masqués émaillent la salle. Je soupçonne évidemment que leur présence est davantage due à une volonté de profiter un bon coup avant la mise en place du couvre feu du lendemain. Mon ami et moi mangeons des Mars et buvons des cafés comme des beaufs consuméristes que nous ne sommes traditionnellement pas. Dès les premières minutes du film, un malaise s'installe. Les premières vannes fusent. L'histoire se met en place et l'intrigue s'ébauche. Sur cet écran très lisse d'où émanent des images d'une certaine qualité, un sentiment intense de gêne me parcourt. Tout semble calculé, maîtrisé, professionnel. La bande à Philippe Lachaud et Tarek Boudali, dont le premier est vraiment mauvais et le second un peu moins, dévoile un film de leur pâte habituel si bien que je ne suis plus estomaqué par leur humour bien particulier. Mais rien ne marche. J'ai des tics nerveux, je ris de la bêtise et de la lourdeur des blagues plutôt que des blagues elles-mêmes. Je vois dégouliner la graisse industrielle de l'écran comme d'un vieux BigMac ou d'un MacFlurry ayant pris chaud. Je suis écœuré. J'ai mal au ventre.


Et devant ce produit marketé sur mesure, dont l'humour vulgaire n'est jamais réellement subversif et dont le propos est évidemment infiniment consensuel, la salle rit. Elle rit beaucoup et lâche des explosions d'extase. J'entends les frottements des boîtes de popcorn, les commentaires chuchotés aux oreilles des voisins, les mains des couples qui s'effleurent doucement. Tout ou presque fait mouche. Si les interventions de Philippe Duquesne et de Chantale Ladesou paraissent plaire davantage, et sans doute à raison, je ne crois pas avoir vu dans le miroir de la France périurbaine le malaise qui nous étreignait, mon ami et moi. A un certain moment, une blague de l'acteur Julien Arruti provoque une exclamation dans la salle "Hey mais il est gay lui". Rires gras dans la salle. Rires francs. Rires sincères. J'ai ressenti soudain la magie du marché de l'industrie du cinéma : une offre qui répondait à une demande. Faite pour elle et uniquement pour elle. Rien qui ne la dérangerait outre mesure ou voudrait lui dire quelque chose : du divertissement pur pour oublier un peu ses soucis. Du rire low-cost. Du rire fast-food. Du rire fast-laugh. Un sentiment intense de tristesse m'a envahi puis le rire. Un rire nerveux. Un rire malheureux. Un rire maladif. J'ai ressenti dans les blagues pipi-caca du film, dans le corps des acteurs (Tarek Boudali est à poil la bonne moitié du film), dans sa construction, tout le vide existentiel d'une Nation malheureuse. Qui veut rire sans réfléchir. Qui veut rire sans pleurer. Qui veut rire sans penser. Et tout cela m'a fait rire, moi aussi.

PaulStaes
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le 16 oct. 2020

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Paul Staes

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