[Critique déflorant un peu le sujet !]

Dans le bonus du DVD, Catherine Breillat explique qu'elle ne ménage pas ses acteurs : "au prix où ils sont payés, ils peuvent mouiller la chemise". Un discours qui fait du bien en France où les acteurs, dès qu'ils ont un peu de notoriété, se comportent souvent en star. La réalisatrice explique ainsi avoir eu des mots avec Etienne Chicot, celui-ci ayant été, alors, plus juste que jamais. Un peu plus tard, elle raconte comme elle tient à ne pas laisser les acteurs se maquiller eux-mêmes car elle entend les garder sous son contrôle. Une vraie mante religieuse !

On sent l'influence de Pialat dans ce cinéma qui se penche sur les affres de l'adolescence et cherche essentiellement à capter la vérité d'un échange. Et des échanges, il y en a, entre Lily et Maurice ! Lily est sacrément délurée pour 14 ans, provocatrice, intrépide. Elle parvient à accrocher un playboy plein de morgue, Maurice donc, joué par Etienne Chicot. Catherine Breillat aime choquer le bourgeois, elle y va donc carrément en mettant en scène une jeune fille de 14 ans. Oui, mais il y a un hic : la jeune fille fait vraiment plus âgée, et de fait elle en avait 16 au moment du tournage. Pourquoi, donc, pousser le bouchon si loin, au risque de perdre en crédibilité ? 16 ans, ça ne suffisait pas ? A noter que cette limite d'âge a pris une importance nouvelle avec la récente loi sur les abus sexuels : toute relation sexuelle avec une personne de moins de 15 ans peut à présent être qualifiée en viol. Diriez-vous que Maurice a violé Lily ?... Sans doute pas. Mais, précisément, le débat est faussé car Lily ne se comporte pas comme une fille de 14 ans. Et à cet âge, deux ans c'est énorme.

Dommage donc, qu'on sente un peu trop chez la réalisatrice la volonté de choquer. Plus tard, elle mettra à l'affiche la star du porno Rocco Siffredi... Pour autant, on ne saurait réduire à ce seul désir la démarche de Breillat, comme on peut le faire pour un Gaspard Noé : il y a un réel propos dans le film. 36 fillette nous parle de la découverte de la sexualité par une adolescente qui ne sait comment s'y prendre. Aller avec un type expérimenté peut rassurer, mais lorsqu'il s'agit de se laisser pénétrer c'est une autre affaire : Lily en a envie mais ne se l'autorise pas. Alors elle cause beaucoup, sur le mode agressif, avant d'en passer par les préliminaires qu'affectionnent tant les hommes : masturbation et fellation. Et lorsque, enfin, elle se sent prête, il est trop tard : Maurice, lui, s'est lassé. Ne restera plus alors qu'à reprendre un chemin plus balisé : la toute première fois avec un garçon de son âge, le degingandé Bertrand. Vite expédié, et décevant. La rapidité de la chose, où Lily s'agace même que les préliminaires durent trop, contraste avec les nombreux et douloureux essais avec Maurice.

Dans ce chemin vers la défloraison, Lily croise quelques personnages secondaires : son frère censé le chaperonner mais qui s'avère plus immature qu'elle (il s'endort dans la boîte de nuit pendant que Lily se laisse bécoter par Maurice), un concertiste joué par Jean-Pierre Léaud (pas dans son meilleur rôle) qui la questionne sur ses expériences amoureuses passées, un vieux qui la prend en stop et lui pose rapidement sa main sur la cuisse avant de l'insulter, Bertrand enfin donc, le garçon du camping qui lit Dostoïevski et Camus mais n'est pas pour autant différent des autres hommes dès lors qu'il s'agit de sexe... Tous les mêmes, sauf papa ! Parlons-en : pour parents, Lily a un couple dépassé, notamment un père qui ne sait réagir que par la violence. Cela nous vaut une scène d'hystérie pour laquelle la jeune Delphine Zentout, impressionnante de naturel face à Jean-Pierre Léaud, n'est pas à la hauteur : crier en restant compréhensible, c'est un métier...

Mais, bien sûr, 36 fillette c'est surtout un face à face. Traditionnel jeu de chat et la souris entre les deux, l'écart d'âge pimentant évidemment la chose... Lorsque Lily met une cassette dans l'appareil qui fait tache dans cette suite luxueuse, on entend un extrait de Birth of the Cool de Miles Davis. Echange savoureux :

Lily : - c'est nul, le jazz
Maurice (après un temps) : - ouais, t'as raison c'est nul le jazz
Lily : - c'est pas parce que t'es né en 1940 qu'il faut croire qu'il y a rien eu de nouveau depuis
Maurice : - c'est pas parce que t'as une culture de merde qu'il faut être désagréable !

Bien dit. Lily sera renvoyée aussi à son inculture par le jeune Bertrand. Mais tous craquent face à l'opulente poitrine de Lily. Trop opulente pour ses 14 ans à maintes reprises revendiqués, comme si Delphine Zentout voulait s'en convaincre elle-même.

Que veut nous dire Catherine Breillat ? Que les hommes, quelque soit leur âge (on voit successivement la vingtaine avec Bertrand, la quarantaine avec Maurice et la soixantaine avec le type qui la prend en stop) sont tous travaillés par leurs hormones. Qu'il est bien difficile pour une femme inexpérimentée d'y trouver son compte (Catherine Breillat nous montre deux femmes plus âgée, l'une épanouie l'autre ayant visiblement morflé). Enfin, que la façon de s'y prendre de Lily n'était sans doute pas la bonne. Du côté des hommes, j'ai bien aimé l'espèce de honte que ressent Maurice après la scène dans la grotte : toujours tentant la petite gâterie, mais elle laisse après coup un goût amer. Ce sera aussi le cas là deuxième fois où, là, Maurice se décidera enfin à abandonner cette liaison.

Quant au sourire final de Lily, il signifie, à mes yeux, que celle-ci est doublement contente : d'une part parce que "c'est fait", d'autre part parce qu'elle a repris le contrôle sur les hommes (comme aime le faire Catherine Breillat...), fût-ce au prix d'une bien méchante répartie.

Pas de quoi écrire une thèse quand même, comme disent les deux compères des Valseuses, et là est sans doute la limite de mon adhésion. Peut-être ai-je n'ai pas tout compris ?

Esthétiquement, rien de très fascinant. Quelques cadres soignés : une serviette qui sèche derrière Bertrand dont la couleur fait écho à sa rousseur, le noir de la tenue de Lily qui s'accorde au bureau dans la suite de l'hôtel, un plan de couloir dans cette suite où l'on voit Lily hésiter à rejoindre Maurice.

L'impression qui m'en reste est celle d'un petit film assez attachant, malgré quelques travers.

Jduvi
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le 1 janv. 2024

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Jduvi

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