‘71 : un vrai moment de cinéma, haletant et intelligent.

Sorti le 5 novembre 2014.

Réalisé par Yann Demange.

'71 nous projette violemment au cœur du conflit entre catholiques et protestants d’Irlande du Nord, dans la ville de Belfast, au début des années 70. Le film relate 24 heures de la vie d’un jeune militaire, Gary Hook, envoyé avec son régiment comme renfort pour sécuriser la ville. Mais Gary, blessé, se retrouve séparé de son unité lors d’un affrontement avec des indépendantistes. Commence alors une course contre la folie des hommes et contre la mort.

71 site cover

L’unité de temps du film est courte et plonge le spectateur dans la terreur si particulière de la guerre civile. Gary passe par toutes les étapes de l’horreur pendant cette journée. On le suit, on partage sa traque et on découvre alors la population de Belfast, divisée entre l’IRA, la loyauté au gouvernement britannique , l’humanisme et la délation. Le « mauvais » irlandais qui aide le soldat anglais, pourtant gravement blessé, côtoie tous les jours les membres actifs et souvent sans scrupule de l’IRA. On frappe au hasard, sans se soucier des êtres qui tombent. Le film décrit également les luttes internes au sein de l’IRA, concernant les actes politiques et/ou inacceptables, choses dont on parle peu au cinéma.

La caméra de Yann Demange, dont c’est le premier film, est profondément mobile. Elle suit, bouscule, parfois à outrance, mais toujours en collant aux mouvements ou aux respirations de son personnage principal. L’oppression est tout d’abord dans la ville, avec des plans symétriques, plutôt calmes. Puis, lorsque Gary est touché et obligé de fuir, la caméra ne s’arrête plus. Steady cam, caméra portée, embarquée sur une moto, ou encore accrochée à des filins constituent l’éventail des techniques utilisées pour que l’a caméra « colle » à Gary. Alors qu’il change sans cesse de lieu pour survivre, quelques pauses permettent de voir les décors typiques de l’époque, les costumes, de développer les relations avec les personnes qu’il rencontre. Le scénario, très bien écrit , est percutant et prend la forme d’un thriller dans la vie réelle. Les dialogues sont rares, les accents s’entrechoquent (la version française ne permettra pas de prendre conscience du mélange des genres !). Il émane du film une grande maîtrise, qui fait écho à Green Zone (Paul Greengrass, 2010): une caméra nerveuse, pertinente, qui nous jette la réalité en pleine tête, pour nous faire réfléchir et nous secouer, à tout point de vue. Mais à la différence du film de Greengrass, Demange choisit ici un très jeune soldat, frappé de plein fouet par la solitude, la peur et complètement abasourdis par ce qui lui arrive. L’identification est alors facile pour n’importe quel spectateur, obligé de se projeter dans cet enfer, de compatir avec le sort de Gary. Et l’absurdité de ce conflit est évidente et nous bouleverse. L’acteur Jack O’Connell (Gary) est impeccable, puissant, sensible et fait parfaitement passer les émotions qu’un jeune homme déboussolé peut ressentir en territoire ennemi et inconnu.

On passe avec ‘71 un vrai moment de cinéma, haletant et intelligent. Yann Demange, par sa maîtrise, donne toute la force qu’il faut à l’état de guerre qu’il filme, sans jamais tomber dans le cliché ni le film d’action bête et méchant. Bravo et longue route !
cinephilanonym
8
Écrit par

Créée

le 21 nov. 2014

Critique lue 225 fois

Critique lue 225 fois

D'autres avis sur '71

'71
mymp
6

Belfast and furious

Il y en a eu du film traitant du conflit nord-irlandais, il y en a eu des pelletées, à la douzaine. Presque un genre un soi, un label déposé, un peu comme la guerre du Vietnam, le torture porn ou le...

Par

le 29 oct. 2014

23 j'aime

1

'71
Gand-Alf
6

In the Middle.

Premier long-métrage de Yann Demange, '71 retrace le parcours d'un jeune soldat britannique coincé dans le Belfast de 1971, en plein milieu d'un conflit opposant catholiques et protestants. Un sujet...

le 10 sept. 2015

19 j'aime

'71
blig
5

Argo(t)

Année 1971 à Belfast en Irlande du Nord. S'affrontent d'un côté les nationalistes catholiques, avec comme force paramilitaires l'IRA, et de l'autre les loyalistes protestants, avec comme force...

Par

le 11 nov. 2014

16 j'aime

3

Du même critique

Diplomatie
cinephilanonym
10

Une véritable leçon de 'Diplomatie'

Réalisateur méconnu du grand public, Volker Schlöndorff n'en est pas moins un cinéaste talentueux. La Palme d'Or et l'Oscar du meilleur film étranger qu'il a reçu en 1979 peuvent en témoigner (NDLR :...

le 27 sept. 2014

5 j'aime

Gone Girl
cinephilanonym
10

GONE GIRL : le sacre de David Fincher

Pas évident de faire une critique du dernier film de Fincher sans vendre la mèche mais je vais essayer (promis, pas de spoilers). Le jour de son 5ème anniversaire de mariage, Nick Dune rentre chez...

le 15 oct. 2014

3 j'aime

2