Par OhCaptainMyCaptain.

Albert Dupontel, pour beaucoup d'entre nous, est l'humoriste auteur de l'inoubliable sketch le Bac de Philo, sur Jean Paul Sartre, ou encore Rambo, pour entrer en douceur dans un sujet cinématographique, où il nous aura fait pleurer de rire.

Mais en plus de cette carrière d'acteur et d'humoriste, il réalise quelques films, pas inoubliables quant à eux. Il revient donc à la tête du film 9 Mois Ferme en temps que réalisateur et scénariste. Il reste ici dans un thème familier pour lui, c'est à dire les prisons, les gangsters... Je ressors ce film du placard parce que les abonnés de Canal+ peuvent en profiter en ce moment, donc si vous hésitez à le regarder, je serais là pour vous guider ! Et on fête également les un an de sa sortie !



Avant tout, je tiens à féliciter le réalisateur pour son choix de titre. On est les premiers à hurler quand le titre n'est pas bon (coucou La Planète des Singes!), on se doit donc de souligner lorsque le titre l'est. Le jeu de mot est bon, permet de définir les deux angles du sujet, a de l'impact... Bonne pioche Dupontel !



9 Mois Ferme est l'histoire d'une juge d'instruction promise à un bel avenir (la présidence de la Cour de Cassation selon certains), très ferme, mais dont la vie soporifique et bridée dérape un soir de réveillon du nouvel an, suite à la première soirée bien arrosée de sa vie. Le générique se situe d'ailleurs à ce moment là, avec un bel effet de travelling travaillé au sein du palais de Justice, pendant la soirée organisée par les avocats de la Cour (permettant une agréable petite apparition du Palmashow). Tout bascule lorsque six mois après elle se rend compte malgré un déni de grossesse qu'elle est enceinte. S'en suit tout un cheminement à la recherche du père, par voie pas très légale, et il semble que la piste amenant à un présumé criminel embourbé dans un dossier sanglant est la plus probable. La question est de savoir si, en sachant cela, elle va l'aider à se sortir de l'appareil judiciaire ou si sa volonté de justice forte sera plus forte.



L'idée de base de ce scénario est donc très bien sentie, pas forcément originale, mais qui peut faire un grand film si elle est assez bien exploitée. C'est d'ailleurs ce qu'en a pensé l'Académie des Césars en lui attribuant le César du meilleur scénario original en 2013. Une nuance s'impose tout de même, l'avis de l'Académie n'en fait pas un dogme pour autant. Si l'adhésion à l'idée originale est évidente, le scénario a du mal à tenir la route sur la longueur. Alors attention, il est très dur de dépasser ce genre d'idée et tenir sur 1 heure et demi, mais malheureusement il ne tient que la moitié des promesses sur ce plan, le scénario traîne en longueur par moment, avance très peu et ne surprend que peu.

Certaines scènes sont vraiment très jolies dans leur réalisation, parfois pleine de métaphore, de mélancolie, et permet donc au film d'avoir une patte touchante au milieu de cette comédie satyrique (sans tomber dans le mélodrame habituel des comédies françaises). Malheureusement la musique ne suit pas, Christophe Julien signant ici une musique plutôt banale, voire d'ambiance par certains moments. Maintenant difficile de lui en vouloir pour autant, une telle composition n'a rien de choquant dans ce type de film.



Comédie satyrique donc, oui, et pas qu'un peu. Ici chaque corps de métier de la justice (et le gynécologue en cadeau bonus) en prend pour son grade, permettant de désacraliser et de rationaliser ce genre de profession et d'avoir une certaine idée des coulisses du Palais de Justice (à prendre avec du recul, bien évidemment, puisque la description est parfois très édulcorée et parodiée, pour parler en connaissance de cause de cette réalité judiciaire). L'avocat est fêtard, nerveux, bègue, volubile et flamboyant en plaidoirie, et le juge est hautain, choqué d'un rien, quand le policier est beauf, un peu crade, pas très futé, lourdingue. Le médecin légiste est un vrai boucher, et le gynécologue très sérieux, sec et dur dans ses propos, totalement en décalage de la réalité de sa profession. C'est parfois un peu trop facile, mais nous reviendrons plus bas sur l'humour. Dans tous les cas, il y a beaucoup de détails sur l'institution de la Justice, on sent vraiment le travail de recherche plus en amont du scénariste. Et cette réalité permet d'ailleurs quelques jolis quiproquos juridiques entre vie professionnelle et vie privée. Et quelques private jokes pour les amis juristes (notamment les stabilos). Les journalistes, surtout les chaînes de télévision d'infos en continu sont aussi visés avec leurs experts à « deux balles » et leurs questions tapageuses qui font l'audimat (A noter quelques blagues croustillantes dans les bandes passantes d'informations à la minute).



Concernant les acteurs, il convient de s'attarder uniquement sur les deux personnages principaux, le juge Ariane Felder, jouée par Sandrine Kiberlain, et Robert « Bob » Nolan, joué par Albert Dupontel, puisque l'intrigue ne s'attarde que sur eux . Sandrine Kiberlain a d'ailleurs eu le César de la meilleure actrice pour ce rôle en 2013, et il n'est pas incongru de dire qu'elle ne l'a pas usurpé. Elle campe avec beaucoup de réussite et de naturel la juge d'instruction, parodie de l'idée moderne de la femme forte (« les hommes c'est tous des méchants, la famille c'est nul, je peux me débrouiller toute seule pour vivre heureuse... ») dans son inflexibilité et dureté pour sa vie privée, et l'état d'esprit actuel des juges d'instruction (tout en appuyant la rivalité magistrat/avocat). Le spectateur n'éprouve que peu d'empathie envers elle, et trouve un malin plaisir à voir son petit monde s'écrouler. A ce moment là elle devient complètement folle et s'enferme dans ses réflexions juridiques, et tout ceci est joué à merveille. Albert Dupontel, quand à lui, campe toujours avec brio les rôles de gangsters/délinquants, complètement taré mais parfois drôle (avec cette façon de parler si caractéristique, sans devenir une mimique à la Élie Semoun) et touchant à la fois de par sa personnalité maladroite. Ce qui est à souligner, c'est que le film ne tombe à aucun moment dans des pièges. Dans l'idée de base, le délinquant n'est pas le méchant et le juge la gentille qui va le remettre dans le bon chemin. Les deux sont tout aussi insupportables au début pour le spectateur, l'équilibre n'est pas manichéen, et chacun a de l’ambiguïté dans son caractère. Ensuite, bien qu'inévitablement le spectateur va petit à petit prendre de l'empathie pour les deux (pour le coup, on peut rien y faire, c'est une logique cinématographique) Dupontel ne tombe pas dans le cliché où les deux deviennent sympathiques par enchantement : ils s'humanisent certes, mais reste insupportables.



Enfin, le sujet le plus important quand on parle de comédie : l'humour. Et là, inévitablement, c'est aussi une affaire de goût. Mais ce film est un total miroir de la personnalité d' Albert Dupontel. C'est un comique avec deux pans d'humour dans son univers : d'un coté l'humour sérieux (soit fin/très recherché soit sombre et réaliste mais drôle par le décalage) de l'autre un humour assez lourd et facile. Et sa particularité est qu'il arrive à jongler entre les deux et passer de l'un à l'autre dans une même phrase. Et c'est vraiment ce reflet pendant tout le film, ce qui est plutôt un bon point objectivement. Pour ma part, j'ai beaucoup ri sur les éléments comique très recherchés du film, parce qu'elles étaient bien pensées et placées voire même sous entendues, et j'ai adoré ressentir un malaise quand je souriais des moments plutôt sombres mais décalés. Et malheureusement, l'humour lourdingue passe beaucoup moins dans ce type de film pour moi. Après c'est peut être une affaire de contexte, il existe des films où je suis moins hermétique sur ce plan-là. Mais voilà, pour ma part, j'estime que cela gâche un peu le potentiel de la puissance comique du film.



Nous avons donc ici, avec 9 Mois Ferme, un film intéressant, plutôt bien réalisé, bien magnifié par le jeu d'acteur, et on passe un bon moment d'humour, avec des éléments comiques pour tous les goûts. L'idée originale est une belle trouvaille, mais le scénario peine parfois a évolué et en sortir.

Il faut toutefois souligner une chose : il y a enfin une comédie française avec un sens, un but, qui n'est pas un simple sketch de deux heures d'un grand comique (comme les films de Franck Dubosc, Michael Youn, Élie Semoun, Jamel Debbouze... qui me peuvent me faire rire au demeurant, ce n'est seulement pas leur place ). Le problème du film français, c'est qu'il s'est enfermé soit dans les films au public de niche (les films d'auteurs), soit dans la comédie grand public avec un comique dedans où il fait les sketchs de son spectacle. Ici, Dupontel a au moins le mérite de proposer autre chose, même si ce ne fut pas parfait.
AgenceTouriste
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le 26 oct. 2014

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