Adapté d’une nouvelle de Jonathan Ames, A Beautiful Day est le quatrième long métrage de Lynne Ramsay et le second à être présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, six ans après We Need to Talk About Kevin. Avec du recul, il paraît évident que l'influence de Martin Scorsese était présente à travers certains films de la compétition de cette 70ème édition du Festival de Cannes. Déjà cité dans le Good Time des Frères Safdie,  A Beautiful Day ne peut évidemment cacher ses similitudes narratives avec le Taxi Driver de Marty. Mais c’est bien le seul point commun qui les liera tant Lynne Ramsay revisite avec une singularité évidente le mythe du vengeur urbain, sous couvert d’une puissance conceptuelle inédite. Par le biais d'un récit policier somme toute conventionnel, la réalisatrice livre une étude clinique percutante à travers un voyage dans l'inconscience d'un soldat du Vietnam traumatisé, ceci dans un thriller aussi efficace que déroutant.



Présenté le dernier jour de la compétition du dernier Festival de Cannes, A Beautiful Day a mis K.O. toute la Croisette et s'impose comme une radicale et magistrale leçon de cinéma qui marquera longtemps les esprits.



Avec sa barbe touffue, son air enragé à fleur de peau, et sa ressemblance troublante avec Mel Gibson, Joaquin Phoenix offre une performance remarquable en vétéran suicidaire à la carrure de molosse. Il incarne avec force ce personnage de Joe, pur produit de la folie des hommes. On ne l’avait jamais vu aussi émouvant et désespéré. Le montage du film est une merveille de découpages et de choix d’angles qui redéfinissent la représentation de la violence et à l’écran. L’horreur se lit davantage sur les visages qu’elle n’affronte frontalement et crûment nos rétines. Le traumatisme du personnage de Joe est représenté à travers des hallucinations, des cauchemars et des retours difficiles à la réalité. Joe semble vivre dans un monde fantasmatique tout en affrontant des problèmes personnels quotidiens, les frontières entre l’inconscient et la réalité, les projections mentales et le présent vécu étant difficilement perceptibles par le spectateur. Le montage s’avère brillant, tant il exploite avec grâce les subtilités du flashback et du parallèle avec la réalité. En ce sens, le titre original du film You Were Never Really Here ("Tu n'étais jamais vraiment là") est bien plus énigmatique et prend tout son sens à l'issue du film.


Dans certaines scènes, Lynne Ramsay entraîne son personnage dans des séquences oniriques symboliques qui nous ramènent aux grandes heures du sous-estimé Only God Forgives de Nicolas Winding Refn, qui avait aussi pour lui une volonté de renouveler la vision de la violence. Mais sous couvert de traiter ce récit somme toute linéaire, Lynne Ramsay explore en filigrane les fondements de la société américaine bâtie sur une violence inavouable mais acceptée. Dans une scène où Joaquin Phoenix a un ultime réflexe empathique pour un homme à l’agonie qu’il vient froidement d’abattre, la cinéaste écossaise représente la compréhension d’une génération envers leurs aïeuls. On se rappelle que dans son précédent film, Lynne Ramsay faisait du lien maternel son sujet principal, elle en conserve ici la substance d’émotion nécessaire qui raccroche le personnage de Joaquin Phoenix à sa mère et, de fait, à ce qui lui reste d’humanité. C’est un lien dont il va devoir difficilement hériter lorsque, face à un déchaînement de violence, il ne lui restera plus qu’à se lancer dans une ultime quête pour sauver une jeune fille, trop tôt pervertie, qui semble être la seule raison de faire prospérer ce monde en déliquescence avec l’espoir de le rendre meilleur.


En s’appropriant un matériau d’une simplicité évidente, Lynne Ramsay évite l’écueil du thriller vu et usé jusqu’à la moelle pour le réinventer en permanence, de la mise en scène sophistiquée à son propos d’une profondeur remarquable en passant par une représentation de la violence comme on n’en avait jamais vue. Pas de doute, A Beautiful Day est d’une puissance et d’une maîtrise à toute épreuve. Chef d'oeuvre !


La review cannoise à relire sur le film.

Softon
9
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le 22 oct. 2017

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Kévin List

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