Comme toujours dans les films de James Gray, la famille est au centre d'Ad Astra. Il s'agit d'un père et d'un fils, Tommy Lee Jones et Brad Pitt, tenus avec sobriété et force émotionnelle, qui devront se retrouver et renouer contact dans une quête de soi perpétuelle. La thématique de son premier film de science-fiction tient ainsi sur un post-it, comme souvent; c'est par le traitement très humain de son maigre scénario (Pitt qui s'en va dans l'espace pour suivre les traces de son père et retrouver le chemin de la vie) qu'Ad Astra s'érige comme un grand film de science-fiction.


Purement anti-spectaculaire, il décevra les amateurs d'Interstellar et Gravity : pourtant fait pour un budget tout de même conséquent de 90 millions de dollars (c'est à ce jour son film le plus couteux), il pouvait justement laissait présager d'un enfermement pour son auteur dans la case cinéma mainstream bourrin pour amateurs de blockbusters de fin d'année. Certes, il s'en inspire grandement sur la fin, particulièrement en ce qui concerne la réalisation de son film, à mi-chemin sur sa dernière demi-heure entre les deux films cités et 2001 : L'odyssée de l'espace, auquel il rend de superbes hommages.


Il garde du coup cette même finesse de cadrage qui avait rendu ses trois premiers films à ce point magiques (un peu moins pour The Yards, le moins bon de sa trilogie Crime et Famille), composant dès la première image (sublime bon vers le futur inattendu) un tableau de l'espace absolument incroyable à voir, d'un réalisme rarement atteint et d'une réussite formelle de tous les niveaux, où le soleil tiendra une place principale et salutaire au sein d'une photographie déjà bien talentueuse.


A l'image de ce combat sur la lune tourné comme un jeu-vidéo (l'utilisation de la première personne, soit au travers des yeux de Brad Pitt, inclue malignement le spectateur dans l'intrigue), Gray rivalise d'inventivité pour caractériser sa mise en scène : il se réinvente constamment, assume autant ses références que ce qu'il est capable d'inventer comme manière de montrer les astres, évidemment figure essentielle de ce voyage à la Crusoe initiatique et touchant, loin du déroulé cauchemardesque de la Nuit nous appartient.


De cette quête de l'anti-spectaculaire, retenons le paradoxe de se baser pourtant, concept oblige, sur une galerie d'effets spéciaux tous bluffants, et dont il aurait pu se servir pour faire comme la majorité des réalisateurs actuels, jouer sur la corde sensible du voyage spatial et ne pas se fouler pour mieux mettre en scène des images qui auront de très grande chance d'intéresser, par leur simple modernité numérique, une grande part du public.


Cela, il le fait par le respect de la science : James Gray joue admirablement bien avec les coupures de son de cet espace abyssal duquel on ne voit pas d'échappatoire envisageable, proposant une qualité de bruitages phénoménale, qui rappelle les grands jours de la diffusion du très bon Gravity au cinéma. S'y ajoute sa mise en scène très posée qui cherche toujours le bon cadre bien tranquille, où les scènes de dialogue d'avant/après mission propagent un sentiment de mélancolie des plus touchants, renvoyant à un autre chef-d'oeuvre servant de référence à Gray, le magnifique Apocalypse Now.


Idée certifiée par les interventions récurrentes de la voix-off de Brad Pitt, Ad Astra est un film profondément humain, qui sous prétexte de proposer un divertissement populaire de qualité décide de proposer, en filigrane, les thématiques chères à son auteur, et de le ranger dès lors dans la case des films à grand spectacle intimistes et sensibles, plus proches de l'oeuvre humaine que du du bon gros divertissement pas à l'échelle de l'homme, visuellement incompréhensible et qui ne développe jamais ses personnages.


Vous aurez le temps de vous y accommoder, à ce fameux développement psychologique : déjà parce que Brad Pitt, très fin, nous présente un personnage immensément solitaire et, tout comme dans Little Odessa, dont la vie est régie/gâchée par tous les mauvais choix qu'il a pu prendre jusqu'ici; ensuite parce qu'il est mené par un casting plutôt rare et rythmé par les apparitions remarquées de Donald Sutherland (presque Guest Star de l'entreprise) et Tommy Lee Jones (fantastique capitaine égaré).


Il ne faut ainsi pas s'attendre à voir, avec Ad Astra, un film de science-fiction bourré d'action : il suit une logique très précise de quête de soi dans un océan de souvenirs et de cauchemars, rythmés par la très jolie partition de Max Richter et les mots touchants des dialogues toujours très réussis de Gray. Reprenant des thématiques qu'il aborda dès son premier film, l'auteur les met en scène ici avec une disproportion qu'on pouvait difficilement lui soupçonner, trouvant une apothéose impressionnante dans un final spectaculaire pourtant très humain, où il prouve une dernière fois qu'on est aujourd'hui capables de faire des films à grand spectacle qui allient effets spéciaux très présents et humanité touchante.


Parce qu'il s'agit de cela, ici; Ad Astra est une oeuvre profondément touchante et sensible qui laisse un message pourtant simple en tête : il n'y a qu'en se perdant que l'homme peut se trouver. Cela se passera loin de chez lui, de son confort : le voyage, l'inconnu, la prise de risque et les retrouvailles familiales difficiles sont autant de thématiques qu'il aborde avec un grand savoir faire, pour ne pas dire qu'il excelle dans leur représentation.


En témoigne la magnifique séquence d'hommage à Soleil Vert dans laquelle on verra et entendra clairement et pour la première fois un cadre naturel, signe que Pitt est en train de retrouver son propre chemin et preuve que cette humanité sortie de ses frontières n'a désormais d'humain que des enregistrements perpétuels imaginant un monde qu'elle a à peine connu. Cette nature, splendide, incarnera le cheminement du héros, accompagnant ses trois étapes de parcours initiatique jusqu'à la dernière, retour en Terre connue et plongée directement dans la splendeur d'une forêt.


A coté de cela, on se retrouve avec un Brad Pitt loin de son come-back viril et cool de Once Upon a Time... in Hollywood; plus intime, plus profond, il livre une performance touchante en donnant un grand relief à ce personnage dont l'humanité s'est perdue à trop vouloir poursuivre des fantômes. Sorte d'homme maudit par l'héritage de son père, il craint de suivre la même voie que lui, que je ne vous révèlerai clairement pas dans cette critique.


Il tient ici l'une de ses performances les plus simples et, en même temps, l'une des plus touchantes; face à cette détresse sentimentale venant de quelqu'un de paradoxalement très froid, on ne peut véritablement rester de marbre face à son destin terriblement emballé, que Gray prend d'un point de départ basique pour en faire une aventure au parcours mythologique immense, filmant l'acteur comme un être de l'espace plus qu'un homme, un être chimérique qui cherche à devenir homme, comme une machine à découvertes qui nous domine par ses capacités physiologiques hors normes et son sens de la débrouillardise phénoménal.


On le suit avec grand intérêt jusqu'au final éblouissant, fin et joliment empaqueté, dont la conclusion, toujours propre et soignée, laisse une grande impression au spectateur. Ad Astra, continuité du cinéma de James Gray, semble servir surtout à transposer des thématiques chères à son auteur dans un milieu artistique qu'il ne maîtrisait pas encore, le cinéma de science-fiction. Si c'est à présent chose faîte, il faut surtout signaler qu'il vient de signer, avec son coup d'essai, l'un des films de science-fiction les plus profonds des 20 premières années de notre 21ème siècle.


James Gray, constructeur familial mythique.

FloBerne

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