Un très grand James Gray (peut-être enfin reconnu, sans méprise), et un très grand Brad Pitt, magnifique de douleur contenue.


Le cinéma, cette merveilleuse machine d'illusionniste, m'a conduite sous les anneaux sombres de Neptune et au fond de mon propre penchant à l'isolement. Je ne l'aurais pas imaginé. J'ai toujours été un astronaute aux confins de ma solitude et l'espace infini est l'écrin projeté de ce vice que j'entretiens avec obsession. Je ne connais pas de silhouette plus mélancolique que celle de l'homme flottant, les membres alanguis, dans sa combinaison blanche. Son frêle caisson d'étanchéité contre l'infiniment grand insondable. Il y a des disproportions bouleversantes que le cinéma a toujours rendues. Je n'aime rien tant que les films spatiaux.


Si l'on cherche donc dans "Ad Astra" un grand spectacle spatial, avec de l'action, des explosions et des engins qui s'écrasent, s'abstenir. Brad Pitt ne sauve pas la planète, qui ne l'a pas attendu pour aller coloniser le système solaire, avide d'expansions sans fin et d'auto-destruction. Et même si l'on retrouve deux des trois acteurs de "Space cow-boy", on serait ici plus près de "First man".
"Ad Astra" est une odyssée intime et métaphysique, rendue bouleversante par la voix off qui sait toujours se tenir en retrait du silence intersidéral et des compositions de Max Richter, aussi envoûtantes que la petite musique des sphères.


"Le poids des erreurs du père pèse sur le fils". Presque une odyssée christique, ce fils abandonné parmi les hommes par un père qu'on ne voit pas et dont on ne sait même pas s'il existe encore, là-bas, si loin, sur son Olympe de nuit sans fin...Le père, ce héros, a fait de l'exploration spatiale son unique aventure au point de se perdre dans l'inconnu. Le fils, dans l'ombre du modèle aussi encombrant qu'absent, a fait du deuil impossible son unique raison de vivre. Face au rêve fou d'un conquistador obsédé, le passé obsédant d'un enfant qui a étouffé son coeur en grandissant et s'est fermé à tout. Deux solitudes dans l'infini spatial. Au-delà de la lune devenue déjà trop petite, au-delà de sa face cachée, au-delà de Mars, de Saturne, anywhere out of the world...


"Pas un mot - Mon âme serait-elle morte ? - "En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal ? S'il en est ainsi, fuyons (...), encore plus loin de la vie, si c'est possible (...) Là le soleil ne frise qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié de néant." - Enfin, mon âme fait explosion (..) : "N'importe où ! n'importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !"


C'est là que l'odyssée s'engage. L'odyssée, une épopée de l'intime et la question cruciale du retour. La bille bleue, cette Ithaque lointaine, la désirent-ils encore, le père et le fils Mac Bride ? Le retour, la question pour le père qui n'a pas résisté aux chants des sirènes ; le retour, la question pour le fils, qui a laissé malgré lui sa Pénélope, hiératique et fugitive Liv Tyler. Une odyssée d'une grandeur insoupçonnée, triste et fragile.


On a aimé la très belle photographie dont la texture laisse entrevoir la profondeur du songe humain autant que les abysses de la solitude. On a aimé le visage de Brad Pitt, moins solaire qu'à son habitude, et dont la surface trahit parfois, dans des plans qui étreignent, sa face d'ombre. On a aimé la séquence de course-poursuite lunaire sur la musique de Richter, son esthétique à la Cosmos 99, sa tension, son absence de son. On a aimé l'apparition non dramatisée de Tommy Lee Jones en vieux gilet vert fatigué, chez lui, à des milliards de km. La scène qui dit tout en si peu.
Car ce film est aussi une leçon de découpage et de montage. "Rien ne manque, rien n'est en trop". La relation de couple entre le fils (Roy MacBride) et sa femme est à ce titre posée et défaite en quelques rares images et une surimpression de présence-absence dans un lit aux draps blancs remarquable de concision et de force.


Bref, je suis moi-aussi de la 7ème obsession !

Sabine_Kotzu
9
Écrit par

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le 9 avr. 2020

Critique lue 93 fois

2 j'aime

Sabine_Kotzu

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