Si tout le programme d’Adieu au langage semble résumé dans son titre, celui-ci est moins la recherche d’un point final au cinéma que l’invitation à continuer à faire tourner les caméras et à aller rencontrer encore un peu plus cet art protéiforme. Le film nous quitte d’ailleurs sur les gazouillis d’un nouveau-né mêlés aux aboiements du chien de Godard qu’on aura eu le temps de bien connaître. Un passage de témoin métaphorique tout de suite suivis par des cris invitant à partir (de nouveau) en guerre.
Mais une telle invitation n’est pas délivrée dans la clarté la plus totale, le film est même d’ailleurs assez obtus. Des bribes de narrations abandonnées à la moindre occasion, des aphorismes impromptus, des citations à méditer, des images dans les images, des images sans images, des cris, des silences, des couleurs, leur absence aussi, du sang qui coule, des rivières qui se déversent, des bouts de suspens, quelques montées de tensions, des balais d’essuie-glace, des bords de routes, de la campagne et de la ville, de l’absurde et du plus que censé, des dénudés et des habillés et puis, au milieu de tout cela, la beauté et la laideur. Bref le programme est chargé.
A partir de là quoi en dire, quoi en penser. On se remémore alors Pierrot le fou et sa question plus ou moins formulée comme cela : qu’est-ce que c’est que le cinéma ? Mais il n’y a pas que l’émotion (réponse à la question donnée dans Pierrot le fou) qui occupe Godard ici. Il y a aussi la technique d’un film symbolisée notamment par l’ombre d’une grue de cinéma dont le mouvement est projeté sur le sol d’un parking. Il y a aussi l’utilisation de la 3D par Godard (dont je n’ai pas profité) et de nombreuses illustrations de mouvements de caméra dont les noms m’échappent par manque de connaissance technique. Mais en tout cas il y un discours sur les émotions et sur la technique (et sa versatilité), ainsi qu'in fine sur la réalisation de l’une grâce à l’autre.
Et là de penser, par une association d’idées complètement sauvage, à la plaque de Pioneer*. C’est une plaque en métal qui a été catapultée dans l’espace au début des années 1970 et qui contient un message fait de symboles à déchiffrer, et non de mots, censés décrire dans une certaine mesure la civilisation humaine si quelqu’un venait à mettre la main dessus à quelques années-lumières de nous. Une « bouteille à la mer interstellaire » comme on dit d’elle, un manifeste de l’humanité représentant la femme et l’homme ainsi que de nombreuses réalités physiques, scientifiques et culturelles de notre monde. On se dit alors qu’Adieu au langage c’est un peu une plaque de Pioneer, non pas de l’humanité mais du cinéma. Un condensé expérimental et artisanal qui se détache du langage pour mieux figurer le cinéma que ne le feraient de simples descriptions encyclopédiques et critiques.
Un film qui s’envisage donc comme une large somme qui a vite fait de nous dépasser, un gros morceau de cinéma qui résumerait (de manière plus ou moins convaincante on peut en débattre) ce que c’est que le cinéma et un peu la vie. De là à dire que l’un c’est l’autre serait assez réducteur pour la vie… mais aussi pour le cinéma.
*La plaque de Pioneer : https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_Pioneer#/media/Fichier:Pioneer10-plaque.jpg