Mistakes? We don't make mistakes.
Brazil
– Les maladies auto-immunes, c'est comme la police quand elle se trompe, ça fait des dégâts
– Ils sont bêtes mes anticorps...
– Ma métaphore sur la police n'était pas tout à fait innocente...
Adieu les cons
N'ayant pas vu énormément de titres de la filmographie de Dupontel, mais fan inconditionnel de Virginie Efira (qui, pour moi, fait partie des meilleures actrices françaises, déclassant, de loin, les surcotées Exarchopoulos, Seydoux, Forestier, Cotillard, et j'en passe), je voyais en Adieu les cons la possibilité d'un envol, pour une actrice trop souvent négligée par les productions militantes (cinématographiquement parlant) et demandée pour des rôles qui, me semble-t-il, inhibaient son talent. Ainsi, que dire ici? Nous sommes face à un réalisateur chevronné qui, contrairement à beaucoup, est capable de réaliser un excellent film. L'intention peut nous échapper : elle hybride un dégoût nihiliste et franchement réactionnaire d'une société qui — si on ne l'avait pas encore compris — va mal, miné par une sincère indignation contre les dérives d'une société autoritaire (les flics, les petits chefs, ne sont pas épargnés par l'humour caustique), et puis tout le reste, tout dans le même panier, et faut passer vite, on n'a qu'une heure vingt, donc pas le temps de niaiser. Oui, il y a sans doute trop de choses qui ne vont pas, autant dans la société que dans le scénario qui, malgré sa simplicité est trop souvent étonnamment fragile, et qui dénote avec des scènes magnifiquement réalisées, au potentiel comique et cinématographique immense. Mais dans ce remake un poil trop frenchy de Brazil (où se côtoient également le personnage de Monsieur Blin, et les noms de Kurtzman, Tuttle du Dr Lint), qui, de fait, brasse 1984, on sent que le pot-pourri idéologique ne doit pas se considérer sans son contexte extradiégétique. À mon sens, Adieu les cons, dont la farcissure déborde de tous les côtés et malgré son contexte de production (en été 2019, donc avant la pandémie), est une pure comédie du dé-confinement, ce qu'on pourrait peut-être dire aussi de l'œuvre de Dupontel dans son ensemble (Neuf mois ferme?), certains seront meilleurs juges que moi à ce sujet.
Il faudrait construire des asiles de cons, mais vous imaginez la taille des bâtiments
Une diversité thématique trop ambitieuse sur un format si court : la punchline de l'hilarant Tais-toi de Veber le dit déjà : les cons sont trop nombreux, décider de s'en prendre à eux est une guerre sans fin. C'est, me semble-t-il, le premier problème du film de Dupontel. Sans naïveté mal placée, le titre annonce déjà de nombreux problèmes : le brassage de références (Amélie Poulain, Brazil, 1984, des plans très proches de certaines production de cinéma d'animation) les revendications (on se rappelle de l'ironique « Bien pensant - Vous êtes tous des cons» de King-Ju sur la pochette de l'album The Hypnoflip Invasion du groupe Stupeflip), les thèmes bariolés (l'amour, la hiérarchie, le rôle de parent, la maladie, auto-immune chez Suze, d'Alzheimer pour le Dr Lint, le handicap, l'environnement, le passage au tout-numérique, la solitude, le temps qui passe et les villes qui se transforment, l'administration, l'erreur, le rapport entre jeunes et vieux, la mort, les flics, la violence, et j'en oublie certainement). À force de s'en prendre à tout et n'importe quoi, le film parvient à s'approcher de la satire sociale grand-guignolesque (tout tourner en ridicule, n'épargner personne, « on peut rire de tout ») mais perd en profondeur, et ses dénonciations, pourtant fondées, se transforment en embrayeurs d'un comique parfois piteux alors qu'elles pourraient lui donner de la profondeur (notamment à travers le personnage de Serge Blin, fait une critique acerbe et omniprésente des flics, ce qui est osé alors qu'il partage l'affiche avec Un pays qui se tient sage).
Deux têtes d'affiche solides, mais le reste du casting est trop fragile. Le solide duo Efira-Dupontel ne sauve pas, à mon sens, la fragilité du scénario et se heurte à un problème majeur : des acteurs secondaires qui jouent particulièrement mal. À la page des réussites, on ne compte, me semble-t-il, que le docteur Lint (Jackie Berroyer). On passe sur la contre-performance de Philippe Uchan, incompréhensible, qui, s'il a l'habitude de travailler avec Dupontel, semble enchaîner les rictus amusés proches du gloussement à la récitation de son script, dans les seuls moments sérieux du film (lorsqu'il cherche à localiser Cuchas, le personnage de Dupontel). Le plus grave, je trouve, c'est Nicolas Marié (Serge Blin), qui, s'il n'a pas un personnage facile à incarner, enchaîne les scènes comme Canteloup qui imiterait Montagné. Le rôle du fils attribué à Bastien Ughetto est également un grand mystère, le personnage n'a aucune contenance, le tout joué mécaniquement et sans aucune âme.
Incohérence scénaristique et idéologique
S'il y a un grand reproche à faire à ce film, c'est son incohérence scénaristique. Même en ayant l'habitude des comédies où l'on enchaîne les coups de chance, les renversements de situations embrayeurs de péripéties, il semble qu'on atteigne ici des sommets. Les personnages incarnent tous un type, bien que certains personnages soient plus fouillés que d'autre, et j'utilise « incarnent » au sens fort: se côtoient le geek soixantenaire omnipotent, la condamnée à mort qui revendique in extremis son enfant, l'aveugle lubrique, l'obstétricien sénile atteint d'Alzheimer, le fils stalker-pseudo-poète maudit à la timidité maladive, le docteur, le flic, le psy, le chef d'entreprise... On voit bien progressivement que le comique sera fondé sur l'impossible homogénéité de ces profils ensemble, alors que la comédie, en fanfare, fera des pieds et des mains pour arriver à l'happy ending, celui de la communion, de l'amour, de la poésie et de la beauté, dans une morale un peu nauséabonde et une cohérence assez lâche. L'apologue un peu niais s'écroule, me semble-t-il à l'introduction du fils dans l'équation jusque là assez complexe du duo-trio des protagonistes. Alors que le camp des bien pensants visent à faire du stalker qu'est le fils une allégorie de l'amoureux transis et reclus avec tristesse dans son bunker, qui n'a jamais osé avouer son amour, on peut lire autrement l'attitude plus que discutable du personnage du fils. Le harcèlement douteux par l'envoi des poèmes, le déménagement près de chez elle, la prise de vidéo dans le bus, remue la vase encore fraîche des pires débats sur « le droit d'importuner ». Alors que la morale mielleuse et niaise bascule de manière encore une fois trop inattendue sur l'happy-ending, on peut encore questionner l'ambition des bien pensants d'établir cette pensée assez unique et plutôt dangereuse.
Pour la nuance
Le 19 mai, c'est la réouverture des cinémas, je me lève à 7h30 pour aller profiter de la première séance proposée dans un cinéma de quartier. Je me réjouis de revenir au cinéma, et m'émerveille, entre autres, pour les scènes de nuit obsédantes, la technique (notamment un beau travelling dans l'escalier en colimaçon, qui me rappelle Vertigo, l'association est facile mais je profite du moment). La patte du réalisateur me plaît, le scénario rocambolesque déploie une maladresse touchante. Le personnage de Dupontel et sa fragilité douce me touchent, Efira rayonne, et j'esquisse plusieurs sourires sur les quelques vannes acerbes sur l'administration, les flics, les petits chefs incapable de connaître leurs employés ou leurs patients. Je tombe sous le charme de ce film, bien que conscient qu'il est problématique, réac, qu'il enchaîne les sous-entendus sur le temps qui passe, les aérosols aux particules fines dégueulasses, les villes en mutation vers une architecture quasi-stalinienne, sa peur des écrans et du tout numérique. Après « 300 jours sans cinéma » pour reprendre le titre du documentaire récent, les scènes tragiques sur le couple Lint atteint d'Alzheimer, l'amour du personnage d'Efira pour son fils, me tirent efficacement les larmes, pendant de longues minutes, sans m'arrêter. Que le film soit raté sur plein de points à mon avis, c'est une chose, mais il y a quelque chose dans cette fragilité de touchant, qui déplace un peu les cadres que l'on peut plaquer quasiment automatiquement sur les films. Le film de Dupontel va chercher le spectateur et lui fait vivre spontanément des émotions mêlées, fait sortir cette fragilité de ce qu'il y a chez lui, et chez nous, de profondément humain.