Aguirre : la colère de Dieu se vit telle une expérience ahurissante où les barrières entre fiction et réalité se brouillent un temps pour laisser la place à l’expédition de l’homme occidental venu coloniser la sauvagerie sur laquelle régner. L’embarcation se change en scène de théâtre où se rejoue l’histoire des sociétés, le roi cédant malgré lui son trône à l’empereur qui périra et laissera sa position à l’ambitieux tyran ; arrive aussitôt Le Radeau de la Méduse peuplé de naufragés avec ses singes comme ultimes symboles d’un peuple animalisé et moutonnier tout autant que reflet de l’absurdité de l’entreprise humaine. Aguirre est une soif inextricable de pouvoir sur fond de dérèglement de tous les sens : on a l’impression de chavirer dans un rêve cauchemardesque, le paysage demeure immuable mais l’ensemble se meut et se meurt au gré des crues et des flèches inhospitalières. Prend vie sous nos yeux un XVIe siècle ressuscité dont on ressent chaque déplacement par la lourdeur des charges, chaque parole par la quête transcendante qu’elle porte. Werner Herzog livre une œuvre inouïe au lyrisme cru, offre à Kinski un rôle à la mesure de sa folie qui parvient à incarner la grandeur – voire la poésie – de l’ambition aveugle et frénétique.